« Superbactérie » ou « hyperbactérie du sexe », comparaison avec le virus du sida, danger de niveau mondial… La bactérie H014 a envahi récemment la Toile sous des attributs extrêmes. Cette bactérie est une souche de la gonorrhée, une maladie sexuellement transmissible également appelée blennorragie ou plus vulgairement chaude-pisse.
Mais contrairement à ce que ces qualificatifs ont pu laisser entendre, la souche H014 n’est pas « plus virulente et ne se transmet pas plus facilement que les autres souches de gonocoques », précisent le Dr Béatrice Berçot et le Pr Emmanuelle Cambau du Laboratoire associé au Centre national de référence des gonocoques. La bactérie n’a par ailleurs rien à voir avec le virus du sida. Mais là où cette nouvelle souche est préoccupante, est qu’elle est multirésisante aux antibiotiques, le traitement de référence pour la gonorrhée.
La gonorrhée, due à une infection par les bactéries appelées gonocoques, est une infection sexuellement transmissible qui “augmente régulièrement ces dernières années”, « chez l’homme et la femme quelle que soit l’orientation sexuelle », d’après l’Institut national de veille sanitaire (INVS). Cette maladie peut avoir des conséquences très sérieuses allant jusqu’à une stérilité, aussi bien chez l’homme que chez la femme. Le traitement de référence est un traitement par les antibiotiques, de la classe des céphalosporines de 3e génération (ceftriaxone).
Mais « les souches de gonocoques se modifient au fil des années sous l’influence des traitements antibiotiques. Elles sont progressivement devenues résistantes à la pénicilline, à la tétracycline puis aux quinolones et maintenant aux céphalosporines [différentes classes d’antibiotiques, NDLR] », expliquent Béatrice Berçot et Emmanuelle Cambau.
De nouvelles souches font maintenant leur apparition, à l’exemple de la bactérie H041 en devenant résistantes au traitement de première intention de la gonorrhée. Le 15 avril 2013, une publication scientifique rapportait d’ailleurs que des chercheurs avaient identifié les gènes responsables de la résistance de cette souche aux céphalosporines. Là aussi, la tendance est à la hausse ; l’OMS s’en inquiétait d’ailleurs dès juin 2012, tout comme le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies. C’est « une vraie problématique », renchérit le Pr Gilles Pialoux, chef de service de l’unité des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon.
Écoutez le Pr Gilles Pialoux, chef de service de l’unité des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon (Paris) : « La résistance a commencé doucement avec certains antibiotiques. Il y a une extension de certaines souches et celle-là [H014, NDLR] est particulièrement résistante. »
Les résistances augmentant, l’arsenal thérapeutique destiné à combattre les gonorrhées se réduit comme une peau de chagrin. Les traitements thérapeutiques devront alors s’adapter. « Afin d’éviter l’émergence d’autres souches de ce type, les recommandations européennes sont de traiter efficacement les patients avec des fortes doses d’antibiotiques par voie injectable. Les doses préconisées en Europe sont plus élevées que celle utilisées aux Etats Unis », rapportent Béatrice Berçot et Emmanuelle Cambau.
Accentuer les stratégies de prévention
Pour ne pas en arriver là, les efforts doivent se concentrer sur les stratégies de prévention. En effet, la blennorragie se transmet aussi bien lors de rapports « génito-génital et ano-génital qu’oro-génital », rappellent Béatrice Berçot et Emmanuelle Cambau. D’où la nécessité de se protéger lors de pénétrations mais également lors des fellations et des cunnilingus. D’ailleurs, la souche multirésistante H014 a été découverte en 2009 au Japon au niveau de la gorge d’une jeune femme prostituée. Par ailleurs, la présence de gonocoques n’est pas toujours symptomatique et peut donc passer inaperçue : une donnée dont le dépistage devrait aussi tenir compte, avertit le Pr Pialoux.
Écoutez le Pr Gilles Pialoux : « Je pense qu’il faut augmenter le dépistage oro-pharyngé. »