Un pas décisif dans la compréhension de la schizophrénie a été franchi. Comme ils l'expliquent dans Nature neuroscience, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont d’abord réussi à décrypter un mécanisme cellulaire menant à la désynchronisation des réseaux neuronaux. Puis ils ont corrigé ce défaut d’organisation chez un animal adulte, supprimant ainsi des comportements anormaux associés cette maladie mentale.
En France, environ 600 000 personnes seraient schizophrènes. La moitié des malades a déjà fait au moins une tentative de suicide. La schizophrénie est un trouble mental sévère et chronique appartenant à la classe des troubles psychotiques, qui apparaît généralement au début de l'âge adulte (entre environ 15 et 30 ans). Comme les autres psychoses, la schizophrénie se manifeste par une perte de contact avec la réalité et une anosognosie, c'est-à-dire que la personne qui en souffre n'a pas conscience de sa maladie (en tout cas pendant les périodes aiguës).
Les symptômes les plus fréquents
Les symptômes les plus fréquents sont une altération du processus sensoriel (hallucination) et du fonctionnement de la pensée (idées de référence, délire). La personne schizophrène peut entendre des voix qui la critiquent ou commentent ses actions, percevoir des objets ou des entités en réalité absents, ou encore accorder à des éléments de l'environnement des significations excentriques. Typiquement, la personne schizophrène a l'impression d’être contrôlée par une force extérieure, de ne plus être maîtresse de sa pensée ou d'être la cible d'un complot à la finalité mal circonscrite.
"Que se passe-t-il dans le cerveau des patients souffrant de ces modifications comportementales caractéristiques de la maladie ? Nous voulions non seulement comprendre de quelle manière les réseaux neuronaux dysfonctionnaient, mais aussi s’il était possible de rétablir leur fonctionnement normal, notamment à l’âge adulte", explique Alan Carleton, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux.
Les réseaux de neurones de l’hippocampe
Les neuroscientifiques genevois se sont penchés sur les réseaux de neurones de l’hippocampe, une structure cérébrale impliquée notamment dans la mémoire. Ils ont pour ce faire reproduit l’altération génétique du syndrome de DiGeorge ainsi que des changements comportementaux associés à la schizophrénie chez la souris. Dans les réseaux neuronaux des souris schizophrènes, les chercheurs ont observé que les neurones présentaient le même niveau d’activité que dans des animaux témoins, mais sans aucune coordination, comme si ces cellules étaient incapables de communiquer correctement entre elles.
"L’organisation et la synchronisation des réseaux neuronaux se fait grâce à l’intervention de sous-populations de neurones inhibiteurs, notamment les neurones à parvalbumine", indique Alan Carleton. "Or, dans ce modèle animal de la schizophrénie, ces neurones sont beaucoup moins actifs. Sans une inhibition correcte qui permet de contrôler et de structurer l’activité électrique des autres neurones du réseau, l’anarchie règne ainsi en maître."
Une nouvelle voie de traitement
Forts de ces résultats, les scientifiques ont tenté de rétablir la synchronisation nécessaire au bon fonctionnement des réseaux neuronaux. Pour cela, ils ont ciblé spécifiquement les neurones à parvalbumine de l’hippocampe. En stimulant ces neurones inhibiteurs dysfonctionnels, ils ont restauré le fonctionnement normal des réseaux neuronaux. Conséquence de cette resynchronisation : les scientifiques ont corrigé des anomalies comportementales de ces souris schizophrènes, supprimant par exemple leur défaut d’hyperactivité et leur déficit de mémoire.
Une nouvelle voie de traitement s’est ainsi ouverte. "Ce dernier élément est vraiment essentiel. La schizophrénie se déclare en effet à la fin de l’adolescence, même si les altérations sont très probablement présentes dès le stade neurodéveloppemental. D’après nos travaux, renforcer l’action d’un neurone inhibiteur faiblement actif, même après avoir passé les périodes de développement cérébral, pourrait suffire à rétablir le bon fonctionnement des réseaux neuronaux et faire disparaître certains comportements pathologiques", se félicite Alan Carleton.