La réforme qui doit transformer la santé en France pour les 50 prochaines années a été enfin présentée. Les réactions sont diverses et mitigées, ce qui, en soit, n’est pas surprenant dans un pays corporatiste, mais surtout, on attendait du sens et on a eu une liste de 54 mesures. Le Pr André Grimaldi, agitateur d’idées pour réformer la santé livre son analyse.
Un bon diagnostic
Le système médical souffre de 3 maux chroniques : 1) la surcharge des urgences hospitalières, 2) les défauts de prise en charge des maladies chroniques et de leur prévention, et 3) les déserts médicaux.
Les causes : le défaut de coordination ville-hôpital, l'insuffisance d'un réel travail d'équipe pluri-professionnelle, l'insuffisante de graduation des prises en charge en ville comme à l'hôpital, le "tout T2A" et le "tout paiement à l'acte", le défaut de pertinence des prescriptions et des actes, les excès de la "médecine-business"
Une bonne décision: la fin du "numerus clausus" actuel
Mais une ambiguïté : laisser plus ou moins croire qu'il n'y aurait plus de sélection et parler seulement de "passerelles". Le flou pourrait amener les mauvais esprits à croire qu'il y a un loup !
Il faut supprimer le P1 et organiser l'entrée en médecine à partir des filières universitaires existantes avec des quotas vers la médecine en 1ère, 2ème et 3ème année de licence.
Mais qu'en disent les doyens ? Sont-ils prêts à perdre les moyens qu'apporte aux facultés de médecine ce cher, très cher, P1.
Des mesures qui vont dans le bon sens pour la ville mais très insuffisantes
Coordination de territoire (communautés professionnelles de territoire, dites "CPTS") au volontariat, soutien au développement des Maisons de santé pluri-professionnelle, création d'assistants médicaux, mais rien sur les centres de santé et surtout pas grand-chose sur le paiement à l'acte, véritable entrave au travail d'équipe, qui suppose des partages de tâches, et véritable frein pour libérer du temps médical utile grâce à des délégations de tâches aux infirmières "cliniciennes" et pour permettre une adaptation des prises en charge aux besoins réels des patients.
Un vrai risque : relativiser la place des MSP et des centres de santé dans les CPTS alors que "pour faire du lien, il faut un lieu".
Plus aucun médecin en 2022 ne travaillera de manière isolée. Belle promesse mais assez creuse si elle n'est pas précisée car aucun médecin libéral ne prétend travailler de façon isolée!
Pour les déserts médicaux, des mesures minimales
La transformation des hôpitaux locaux en "Hôpitaux de proximité ville/hôpital" pour la gériatrie, les soins de suite, la télé-médecine, la biologie et l'imagerie de base avec l'appui des spécialistes de ville ou hospitaliers pour des avis ou consultation spécialisée et l'embauche de 400 MG fonctionnaires volontaires.
Pour les infirmières
Poursuite de l'universitarisation de la formation et la création du master de "pratiques avancées" et reconnaissance des pratiques professionnelles.
TRES BIEN ! Mais quel statut? Quelle rémunération ? A ce jour, pas de réponse.
Pour l'hôpital
Graduation des prises en charge dans les GHT. Et possibilité pour les cliniques commerciales de participer aux GHT. Retour des "services" hospitaliers (mot que la Loi Bachelot avait voulu effacer) et du "pouvoir médical". Un câlin attendu et bien venu ! Critique pertinente de la T2A pour les maladies chroniques. Paiement à la période de soins pour la chirurgie ambulatoire. "Paiement au forfait" pour le diabète et l'insuffisance rénale. Forfait hospitalier dans premier temps, appelé à devenir un paiement au "parcours de soins ville-hôpital".
Un mécano sûrement très séduisant quand on ne répond pas aux questions suivantes :
• Qui décide du parcours singulier ? Le médecin traitant ? L'HAS ? Le patient ?
• Combien de forfaits par pathologie et par pluri-pathologie compte tenu de l'extrême variabilité des patients et de l'évolutivité des pathologies ?
• Quelle somme ? Qui la gère ? La CPTS ? La Sécu ? L'ARS ? L'Hôpital ?
• Quelle clé de répartition entre les acteurs ?
• Quelles rémunérations des professionnels et des établissements ?
Le mot "dotation globale annuelle" (modulée en fonction de l'activité et des patients, avec intéressement partagé des équipes, de l'établissement et de la Sécu) est banni. Pourquoi ?
On fonce tête baissée, tous en chœur, dans le paiement à la qualité (aux indices!) et à la pertinence ("on paiera les chirurgiens qui n'opèrent pas!"). On est plus malin que les américains et que les anglais qui tirent un bilan négatif de ce procédé appelé "P4P". On a fait une étude préliminaire dont les résultats sont négatifs. Donc très logiquement on accélère!
Pour le salaire des infirmières et des aides soignantes : RIEN !
Pour débloquer le financement des heures supplémentaires : RIEN !
Nouveau statut des praticiens hospitaliers avec des valences non soignantes : TRES BIEN ! Mais, en même temps, moins de plein temps et plus de temps partiels, plus de mobilité ville-hôpital et hôpital-ville et plus de contractuels. Le risque est clair : au nom de la fluidité et de la modernité non pas la loi DEBRE 2 mais la remise en cause du progrès fondamental de l'ordonnance DEBRE 1: le plein temps hospitalier. Ce serait un très beau cadeau au privé non lucratif ou commercial : le parachèvement de la dissolution du public dans le grand marché de la santé.
RIEN sur les disparités de revenu des professionnels entre les disciplines et entre le public et le privé! Cette disparité ne crée pas un mouvement brownien, elle crée un flux naturel de l'hôpital vers la ville, et des spécialités mal payées en secteur 1 vers les spécialités bien rémunérées et le secteur 2.
Au nom de la modernité, un très grand bond en arrière. Fin annoncée de la T2A et triomphe de sa politique. L'histoire nous a habitué à ce genre d'ironies
Une dérision : un ONDAM à 2,5 au lieu de 2,3 soit 400 millions en plus
C'est trois fois rien, eu égard aux ambitions affichées, et c'est pour la ville, pas pour l'hôpital dont le déficit cumulé en 2017 a été de 900 millions d'euros (ce qui n'a pas empêché le 1er ministre de baisser à nouveau les tarifs T2A en 2018 de 0.5%). On prétend soigner l'hôpital en traitant la ville. Parfait, mais c'est un traitement au long cours qui demandera 10 ans ou plus pour porter ses fruits.
Et en attendant quelles mesures pour la psychiatrie ? Quelles mesures pour ne plus coucher les patients aux Urgences sur des brancards ? Pour améliorer les conditions de travail des personnels hospitaliers ?
Quant aux 3,4 Milliards en 4 ans de quoi s'agit-il ? D'un redéploiement de sommes déjà engagées ou d'une dotation supplémentaire ?
A force d'attendre sa guérison par la ville, l'hôpital public aura le temps de mourir !
Des pistes pour revoir l'allocation des moyens au risque de heurter des lobbys
• La pertinence des soins : qu'est ce qu'on fait ? Le dosage systématique de la vitamine D, c'est 100 millions d'euros par an !
• La limitation des rentes : l'homéopathie c'est 200 millions d'euros de la solidarité nationale versés à Boiron
• Le coût des génériques en France : 2 fois plus élevé qu'en Angleterre, c'est 1 milliard d'euros...
• La fin du doublon gestion Sécurité sociale (AMO = 7 Mds d'euros) et gestion Assurances privées complémentaires (AMC = 7 Mds d'euros) ce serait plusieurs milliards d'économie.
Le gouvernement a pris une TRES BONNE décision dans le plan pauvreté : la fusion de l'aide à la complémentaire santé (l'ACS) avec la CMUc. La CMUc donne le droit aux assurés de choisir la Sécurité sociale comme Complémentaire ce qu'ils font à 90%. Par sa décision, s'il la maintient, le gouvernement permet à 4 millions de citoyens ayant droit à l'ACS de choisir eux aussi la Sécurité sociale comme Complémentaire (comme pour le régime Alsace-Moselle).
Pourquoi ne pas généraliser cette très bonne idée et à terme transformer les complémentaires très coûteuses en supplémentaires ?
Finalement ce plan santé est marqué par un souci de ne froisser personne, de satisfaire les libéraux en ville tout en consolant l'hôpital, par de grands mots et de petites mesures. Tout l'art de proposer à tous du "gagnant/gagnant", au risque de trop étreindre.... On attendait Debré 2...