"Je n’ai rien inventé, tout a déjà été écrit il y a 25 ans", explique amèrement le chef du service de maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière, Éric Caumes, dans une interview accordée à Pourquoi Docteur. Selon lui, il y a un véritable problème de diagnostic en France avec les médecins généralistes.
24 médicaments prescrits par jour… pour rien
Le Dr Eric Caumes vient de publier, dans la célèbre revue Clinical Infectious Diseases, une étude dans laquelle il pointe du doigt un grave problème de sur-diagnostic de la maladie de Lyme. Sur 301 patients qui l’ont consulté après avoir été diagnostiqués avec cette maladie, seuls 9,6% ont vu ce diagnostic confirmé. Pour le reste, une montagne d’antibiotiques a été prescrit sans aucune utilité.
"Les patients arrivaient dans mon bureau avec des prescriptions d’antibiotiques qui durent depuis plusieurs années avec zéro bénéfice et beaucoup d’effets indésirables. C’était du grand n’importe quoi. Il y en avait même un qui avait une ordonnance avec 24 médicaments à prendre par jour", s’insurge-t-il.
80% des patients sous antibiotiques… pour rien
Après la première consultation, il a arrêté les antibiotiques chez la moitié des patients. "Ce que j’ai fait, c’est que j’ai écouté les patients. J’ai fait ce que l’on appelle une approche hollistique. En utilisant le traitement des preuves, je me suis rendu compte que 80% des malades ont reçu des antibiotiques pour rien".
Finalement, le diagnostic de la maladie de Lyme a été confirmé chez 9,6% des patients. "Pour les autres, il y avait une véritable perte. Ils n’étaient pas soignés correctement", nous explique-t-il. Un tiers d’entre eux souffraient de problèmes psychologiques. Le reste souffrait de maladies rhumatologiques ou musculaires (19%), de maladies neurologiques (15,2%) ou d’autres maladies (33,7%) dont un nombre non négligeable de syndrome d’apnée du sommeil.
"Nommer, c’est apaiser"
Le Pr Éric Caumes nous rappelle que dans le cadre des maladies infectieuses, "le traitement est normalement rapide. La guérison prend environ 48 heures après la prise des antibiotiques. Or, j’avais un patient qui, par exemple, avait une ordonnance sur laquelle était écrit ‘à prendre jusqu’à guérison’. C’est juste pas possible", souffle-t-il.
Fin philosophe, il cite Roland Barthes pour tenter de comprendre ce problème de sur-diagnostic : "nommer, c’est apaiser". "En mettant un nom sur la maladie du patient, ce dernier se sent rassur2. Mais le problème ici c’est que la maladie annoncée n’avait rien à voir avec la réalité", fulmine-t-il.
Un problème avec les médecins généralistes
Mais alors, pourquoi tous ces patients ont-ils été diagnostiqués avec une maladie qui n’est pas la leur ? "Le problème, tente le Dr Caumes, réside avec le fait que les médecins généralistes n’écoutent plus les patients. Mais ça n’est pas entièrement leur faute. Une bonne consultation devrait durer environ une heure alors qu’en réalité elles sont expédiées en quinze minutes."
Selon lui, les médecins généralistes ne sont pas payés suffisamment, ce qui explique leur nécessité d'aller toujours plus vite avec les patients. "Résultat, les malades sont perdus et se rattachent à ce qu’ils entendent ou lisent à droite et à gauche", déplore-t-il.
Il pointe également du doigt un problème de formation chez ces médecins qui passent à côté des symptômes de la maladie de Lyme. "Il faut que les autorités sanitaires et politiques s’emparent du problème sinon ça va continuer", met en garde Éric Caumes.