Les pesticides néonicotinoïdes ont beau être interdits en France depuis le 1er septembre dernier, les abeilles domestiques (Apis mellifera) ne sont pas pour autant définitivement sauvées.
Selon une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université du Texas à Austin publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), ces insecticides neurotoxiques ne sont les seuls responsables de la destruction de millions de colonies d’abeilles. Le glyphosate aurait lui aussi contribué à décimer les ruches des apiculteurs.
Une réduction conséquente des bactéries intestinales
Classé "cancérogène probable" par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), le glyphosate est le principe actif du Roundup, le produit phare de Monsanto. Malgré les soupçons qui pèsent sur sa toxicité et sa dangerosité pour la santé, cela n’empêche pas le glyphosate d’être, encore à ce jour, l’herbicide le plus utilisé au monde. Une étude de 2016 a ainsi révélé que depuis son introduction dans les années 1970, près de 10 millions de tonnes de glyphosate ont été pulvérisées dans les champs du monde entier.
D’après les chercheurs, cela a eu des conséquences sur la mortalité des abeilles dans les territoires dominés par les activités agricoles puisque le glyphosate altérerait leur microbiote intestinal et les rendrait ainsi vulnérables aux infections.
"Nous montrons que l’abondance des espèces principales du microbiote intestinal est réduite chez les abeilles exposées au glyphosate et ce, à des concentrations rencontrées dans l’environnement", explique le biologiste Erick Motta, co-auteur de l’étude.
Lors de leurs travaux, les chercheurs ont exposé les abeilles au glyphosate à des niveaux équivalents à ceux trouvés dans les champs de culture, les jardins et les bords de route. Cette exposition a considérablement réduit leur microbiote intestinal sain. La moitié des espèces de bactéries intestinales qui aident les abeilles à se nourrir et à se défendre contre les agents pathogènes ont été détruites.
Cette réduction des bonnes bactéries dans la flore intestinale des abeilles a eu un impact direct sur leur mortalité. "Les jeunes butineuses exposées à cette substance voient leur mortalité augmenter lorsqu’elles sont ensuite exposées à Serratia marcescens, une bactérie pathogène opportuniste", poursuit le Pr Motta.
Tandis que les abeilles qui n'avaient pas été exposées au glyphosate ont vu leur nombre diminuer de moitié après huit jours, seules un dixième des abeilles exposées au glyphosate ont survécu à l'agent pathogène.
Des résultats inquiétants
Pour le biologiste, les résultats mis en lumière prouvent que "nous avons besoin de meilleures directives pour l'utilisation du glyphosate, en particulier en ce qui concerne l'exposition des abeilles, car pour le moment, les directives supposent que les herbicides ne nuisent pas aux abeilles."
C’est d’ailleurs ce discours que Bayer, propriétaire de Monsanto, a décidé de tenir. Dans un communiqué, le géant pharmaceutique affirme qu’ "aucune étude à grande échelle n’a jamais trouvé de lien entre les problèmes de santé des abeilles et le glyphosate".
Un point de vue que ne partage pas le biologiste Dave Goulson, professeur à l’université du Sussex (Royaume-Uni), spécialiste de l’étude des pollinisateurs, qui n’a pas participé à ces travaux. "Ces dernières années, il est devenu de plus en plus clair que l’ensemble des bactéries formant le microbiote intestinal jouent un rôle vital dans le maintien de la santé, et ce chez des organismes aussi différents que les abeilles et les humains. Cette découverte montrant que ces bactéries sont sensibles au pesticide le plus utilisé au monde est donc inquiétante", explique-t-il au Monde.
Selon les chercheurs, d’autres travaux sont désormais nécessaires pour mieux comprendre comment le glyphosate affecte le microbiote des abeilles. Ils insistent toutefois pour que l’herbicide ne soit plus considéré comme inoffensif pour les animaux, et en particulier pour les abeilles. "Ce n'est pas la seule cause de toutes ces morts d'abeille, mais c'est certainement quelque chose dont les gens devraient s'inquiéter parce que le glyphosate est utilisé partout", conclut le Dr Motta.