Depuis quelques années, d’abord dans le mélanome métastasé, puis progressivement dans d’autres tumeurs solides, l’immunothérapie révolutionne en profondeur le traitement du cancer et sauve des malades jusqu’ici incurables. Le prix Nobel de Médecine, qui a été décerné lundi à 2 chercheurs, couronne leurs efforts sur 2 aspects essentiels de l’immunothérapie moderne.
Classiquement, quand on parlait d’immunothérapie, on se référait au développement de vaccins utilisés pour stimuler le système immunitaire. Mais les réponses à la vaccination, très dépendantes de l’antigène et du système immunitaire du malade, sont souvent très variables, au point d’en être parfois dangereuses. L’immunothérapie moderne est à la fois plus ciblée, plus efficace et mieux contrôlée.
Nouvelle vision de l’immunothérapie
Les travaux de ces deux chercheurs se sont attachés à décrypter le système de d’activation des cellules immunitaires T qui contrôlent la réaction immunitaire, et à lever les « freins » mis en place par le cancer pour empêcher ce système immunitaire de défendre l’organisme contre lui.
Les 2 chercheurs ont permis de mieux comprendre le rôle de 2 protéines à la surface de cellules immunitaires, les lymphocytes T-CD4. Leur travaux permettent de renforcer désormais les défenses immunitaires des malades souffrant de cancer (qui sont toujours réduites) et d’attaquer les cellules cancéreuses dans différents type de tumeurs solides, le premier étant le mélanome dont le pronostic a été transformé au stade avancé ou métastatique.
Une vie consacrée au cancer
James P. Allison, président actuel du département d’immunologie du MD Anderson Cancer Center, a réalisé initialement ses travaux à l’Université de Berkeley dans les années 1990, puis au Memorial Sloan Kettering Cancer à New York. Il a d’abord travaillé sur une protéine à la surface des lymphocytes qui s’appelle PD-1/PD-L1, ou inhibiteur du point de contrôle (checkpoint inhibitor). Il s’agit d’une protéine qui était initialement identifiée comme un frein du système immunitaire, et qui est en réalité une protéine dont se sert la cellule cancéreuse pour se camoufler.
En travaillant sur la compréhension du fonctionnement des lymphocytes T, Allison a en fait découvert qu’en bloquant cette protéine PD-1/PD-L1, on démasquait la cellules cancéreuses « aux yeux » du lymphocytes T et qu’une réaction immunitaire redevenait possible contre ce cancer.
Testée initialement dans le mélanome au stade avancé, les inhibiteurs du PD-1/PD-L1 sont en train de révolutionner le traitement du cancer en s’attaquant au cancer du poumon, de la vessie, au mésothéliome… au stade avancé comme, désormais, dans les stades les plus précoces.
Une autre voie pour renforcer les défenses
Tasuku Honjo travaille à l’Université de Kyoto au Japon, où il a d’abord étudié une autre protéine située sur la surface des lymphocytes T et connue sous le nom de CTLA-4. Elle a été identifiée comme un des cofacteurs intervenant dans l’activation/freinage des lymphocytes T-CD4, et plus spécifiquement comme frein de ces cellules. Or, les lymphocytes T-CD4 ont un rôle majeur dans l’activation du système immunitaire.
Honjo a ensuite développé un anticorps capable de neutraliser cette protéine et a obtenu des résultats spectaculaires sur la stimulation de l’activité des lymphocytes T-CD4 et dans des études sur le cancer chez la souris. Ses travaux ont été relayés par Allison et ses collègues qui ont démontré que des souris atteintes d’un cancer pouvaient être guéries par cet anticorps. La recherche s’est poursuivie jusqu’à ce que ce médicament, appelé « ipilimumab », soit adapté pour les humains et approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) aux USA en 2011 chez les patients souffrant d’un mélanome au stade avancé.
Deux versants de l’immunothérapie
Pendant ce temps, le développement des anti-PD-1 s’est poursuivi et d’autres molécules ont été approuvées successivement. En monothérapie, les traitements anti-PD-1 apparaissent plus efficaces que les traitements anti-CTLA-4, mais la combinaison des deux est remarquablement plus efficace, en particulier dans le mélanome. En cas d’association de ces 2 types d’immunothérapie, le CTLA-4 qui stimule l’immunité, et le PD-1/PD-L1, qui empêche le camouflage du cancer, les réponses anti-cancéreuses sont meilleures. De plus, lorsque les malades souffrant de mélanome sont en réponse prolongée sous traitement, il devient possible d’envisager une interruption de la double immunothérapie sans rechute immédiate, ce qui n’est pas aussi souvent possible en cas de traitement par un inhibiteur du PD-1 en monothérapie.
Tout n’est pas rose
La combinaison d’immunothérapies, majore cependant les effets secondaires, qui deviennent plus importants et doivent être gérés. Malgré la vague d’espoir suscitée par ces nouveaux traitements, tous les malades ne peuvent pas encore en bénéficier : certains cancers ne répondent pas à ces traitements, en particuliers ceux qui sont peu inflammatoires et où il y a peu de cellules immunitaires dans le cancer. Par ailleurs, ces traitements sont très coûteux et mettent en péril l’équilibre financier des assurances maladies dans les différents pays.
Les perspectives
Il reste encore beaucoup de travail à faire pour que ces nouveaux traitements puissent aider davantage de patients. Au cours de ces 40 dernières années, les oncologues ont perfectionné le maniement des traitements classiques du cancer comme la chirurgie, les chimiothérapies et la radiothérapie. L’immunothérapie ne va pas les faire disparaître et il est, au contraire, nécessaire de développer les futures bonnes combinaisons des différents traitements au mieux des besoins de chaque malade. L’inclusion de l’immunothérapie quand elle est le plus utile va ouvrir tout un nouveau champ des possibles.