Malgré vos multiples tentatives pour arrêter définitivement de fumer, vous n’arrivez pas à vous sevrer de la cigarette ? La réponse derrière cet impossible décrochage se trouve peut-être dans vos gènes.
Dans un article paru jeudi 4 octobre dans la revue scientifique Current Biology, des chercheurs français du CNRS et de l’Inserm établissent un lien entre addiction à la nicotine et une mutation présente dans le gène CHRNA5, connu dans le monde médical pour "coder pour la sous-unité a5 des récepteurs nicotiniques". Les personnes touchées par la mutation de ce gène seraient en effet plus enclines à reprendre la cigarette, et ce, même après s’être sevrées.
La mutation du gène CHRNA5 en cause
Les fumeurs ont beau connaître la toxicité du tabac et les conséquences de sa consommation sur leur santé, il leur est en effet parfois très difficile de décrocher. Multifactorielle, cette dépendance à la cigarette s’explique par la présence de la nicotine, une substance psychoactive qui agit sur le cerveau en se fixant sur les récepteurs nicotiniques des neurones et la modification des neurotransmetteurs. Ceux-ci produisent alors de la dopamine, une hormone qui donne une sensation de bien-être et de satisfaction.
Plus l’on fume, plus le cerveau s’habitue à la présence de la nicotine, et plus les récepteurs sont sensibles : c’est ce qui explique l’addiction au tabac. Quand on arrête de fumer pendant trop longtemps, notre corps est alors en manque de nicotine et une sensation de malaise apparaît. Ce manque peut se manifester de différentes façons. Énervement, fébrilité, nervosité, anxiété, difficultés de concentration ou pour s’endormir sont autant de signes du manque, qui disparaissent dès lors que le cerveau est à nouveau "approvisionné" en nicotine.
Pour Benoît Forget, chercheur au sein de l’Unité de Neurobiologie Intégrative des Systèmes Cholinergiques (Institut Pasteur/ CNRS) et principal auteur de l’étude, cette addiction à la nicotine peut toutefois être renforcée par la mutation du gène CHRNA5. "Plusieurs études de génétique humaine ont déjà démontré que cette mutation génétique accroît le risque d’addiction au tabac", explique-t-il, cité par 20Minutes. "Partant de ce postulat, nous avons cherché à déterminer quelle phase de l’addiction à la nicotine était affectée par la présence de cette mutation et quel pouvait être son rôle dans la rechute."
Un risque plus important de rechute après sevrage
Dans le cadre de ses recherches, l’équipe dirigée par Benoît Forget a introduit chez des rats de laboratoire la mutation génétique responsable de l’addiction au tabac chez les humains. Les chercheurs ont ensuite observé le comportement des rongeurs. "Nous avons à la fois constaté que cette mutation génétique entraînait une plus forte consommation de nicotine à des doses élevées, et découvert qu’elle induisait une proportion plus élevée de rechute après sevrage nicotinique", explique le chercheur.
Il est aussi apparu au cours des recherches que ces rechutes fréquentes après sevrage sont liées à une "réduction de l’activation des neurones du noyau inter-pédonculaire", une zone spécifique du cerveau qui contient la majorité des sous-unités Alpha5 des récepteurs nicotiniques et qui est "composée essentiellement de neurones inhibiteurs". Selon Benoît Forget, en réduisant l’activité du noyau inter-pédonculaire, "la mutation génétique pourrait participer à l’activation d’autres structures cérébrales impliquées dans la rechute et donc conduire le fumeur sevré à retomber dans l’addiction lorsqu’il est exposé de nouveau à une cigarette".
Cette découverte pourrait en grande partie expliquer l’addiction à la nicotine de nombreux fumeurs. En effet, affirme le chercheur, 35% des Européens et 50% de la population du Moyen Orient sont porteurs de cette mutation génétique.
Vers un traitement thérapeutique ciblé plus efficace
Pour Benoît Forget, cette découverte est aussi déterminante pour l’avenir du sevrage thérapeutique au tabac car elle va permettre une action très ciblée. "Un médicament capable d’augmenter l’activité des récepteurs nicotiniques contenant la sous-unité Alpha5 pourrait permettre de réduire la consommation de tabac et le risque de rechute après sevrage", détaille Uwe Maskos, responsable de l’unité de Neurobiologie intégrative des systèmes cholinergiques (Institut Pasteur/CNRS), coauteur de l’étude.
Mais une fois que l’on a fait cette découverte, quel espoir permet-elle de nourrir dans la lutte contre l’addiction au tabac ? "En mettant le doigt sur une sous-unité spécifique de récepteurs nicotiniques, on peut envisager des pistes thérapeutiques permettant d’imaginer une action très ciblée", projette Benoît Forget. Ces résultats "suggèrent qu’un médicament capable d’augmenter l’activité des récepteurs nicotiniques contenant la sous-unité α5 pourrait permettre de réduire la consommation de tabac et le risque de rechute après sevrage", ajoute Uwe Maskos, responsable de l’unité de Neurobiologie intégrative des systèmes cholinergiques (Institut Pasteur/CNRS), coauteur de l’étude.
Une nouvelle cible thérapeutique
"Si l’on parvient à développer des médicaments capables d’augmenter l’activation des neurones du noyau inter-pédonculaire, cela pourrait aider le cerveau à mieux gérer l'envie de fumer après le sevrage tabagique", ajoute Benoît Forget. "Un tel médicament permettrait ainsi de réduire la consommation de nicotine non seulement chez les personnes porteuses de la mutation génétique, voire aussi chez les fumeurs qui n’en sont pas porteurs, mais aussi de prévenir la rechute après un sevrage tabagique. C’est d’autant plus intéressant que, en ciblant des récepteurs localisés dans certaines structures particulières du cerveau, cette piste thérapeutique permet d’espérer à terme obtenir un effet thérapeutique de pointe, très ciblé et sans trop d’effets secondaires".
Un espoir que préfère nuancer Jacques Le Houezec, tabacologue et consultant indépendant en santé publique et dépendance tabagique. Interrogé par Slate, il reconnaît que la découverte faite par l’équipe de chercheurs français est importante, mais souligne que "le métabolisme du rat est différent de celui de l'homme (comme celui de la souris). Faire exprimer un gène humain chez le rat pour observer ces effets est bien loin du comportement humain". Il rappelle aussi qu’il faut "tenir compte du nombre important de variétés de récepteurs nicotiniques présents dans le cerveau humain. Sans négliger les renforcements secondaires (affect, situation comportementale, influences sociales, etc.) qui jouent probablement un rôle non négligeable dans les rechutes tabagiques".