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Psychiatrie : l'Angleterre nomme un ministre à la prévention du suicide, et la France que fait-elle ?

Par Barbara Azaïs

Le Royaume-Uni a nommé un ministre de la prévention du suicide dans le cadre d'une nouvelle initiative visant à lutter contre les problèmes de santé mentale. Et la France, que fait-elle ? 200 000 tentatives de suicide et près de 10 000 décès y sont recensés chaque année. Tic tac, tic tac. 

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Passif, inerte, le ministère de la Santé semble faire la sourde oreille quand on parle de santé mentale. Les chiffres témoignent pourtant de l'urgence psychiatrique de notre pays : chaque année, 12 millions de Français sont touchés par des troubles mentaux (dépression, autisme, troubles obsessionnels compulsifs, anxiété, troubles bipolaires, schizophrénie...) soit un Français sur cinq et 200 000 tentatives de suicide, dont près de 10 000 décès, sont recensés. En Europe, la France se situe parmi les pays connaissant un taux élevé de suicides (10e rang sur 32). 

Le Royaume-Uni engagé dans la prévention du suicide

Au Royaume-Uni, où l'on dénombre 4500 suicides par an, le problème est pris très au sérieux. La Première ministre britannique Theresa May a récemment annoncé la nomination de la ministre Jackie Doyle-Price à la prévention du suicide. Son rôle ? Réduire le nombre de passage à l'acte et vaincre la stigmatisation qui empêche les personnes souffrant de troubles mentaux de demander de l'aide. "Nous pouvons mettre fin à la stigmatisation qui a forcé trop de personnes à souffrir en silence", a-t-elle déclaré lors d'une réception à Downing Street. "Nous pouvons éviter que la tragédie du suicide ne tue trop de vies. Et nous pouvons donner au bien-être mental de nos enfants la priorité qu’il mérite si profondément". 

"Dans les années 70, l’Angleterre et la Suède étaient pourtant parmi les pays qui avaient une incidence plus élevée, ou comparable à celle de la France, nous explique le Pr Philippe Courtet, psychiatre spécialiste du suicide au CHU de Montpellier. Quarante ans plus tard, les Anglais ont une incidence semblable à celle des Italiens parce qu'ils ne cessent de développer des programmes de sensibilisation sur le sujet". En témoigne la nomination, en janvier dernier, d'une secrétaire d’Etat chargée des personnes isolées. "L’isolement social est en corrélation avec le suicide", confirme le spécialiste, qui reconnait que si des progrès ont été faits en France, cela reste "très insuffisant". 

La France sème ses petites graines

"On y a cru en 2013 avec la création, par Marisol Touraine, de l'Observatoire national du suicide. Mais à part faire des rapports, il n'a pas établi de politique de prévention". Que dire du plan Vigilans d'Agnès Buzyn ? En janvier dernier, l'actuelle ministre de la Santé a en effet présenté un plan d'actions pour la psychiatrie, dont faisait partie le dispositif Vigilans, qui consiste à recontacter une personne ayant tenté de se suicider deux semaines après sa sortie de l'hôpital. Expérimenté dans cinq régions et un département, ce dispositif devrait être généralisé d'ici à 2020. "Il est positif car il se base sur des données scientifiques internationales actuelles qui ont montré que le recontact des patients après leur retour chez eux permet d’éviter la récidive", nous explique le Pr Courtet.

"Ces personnes sont une population à très haut risque de récidive. Rester en contact avec elles permet de leur apporter un soutien, elles se sentent accompagnées". Ces équipes de "recontacteurs" sont composées de "psychologues et d'infirmiers formés à la prévention du suicide. S'ils estiment que l'état du patient est inquiétant ou que celui-ci est injoignable, ils lui envoient des courriers postaux". L'objectif étant de lui rappeler qu'il n'est pas seul. Les patients disposent également d'un numéro vert pour joindre les équipes de "recontacteurs" en cas de besoin. "C'est une avancée intéressante, mais c'est la seule et ça n’a rien à voir avec la nomination d'un ministre".

Quelles mesures le gouvernement devrait-il engager ? Pour commencer, "attribuer des moyens à la prévention du suicide pour former des professionnels qui ne se préoccuperaient spécifiquement que de cette question dans les différents centres hospitaliers, en psychiatrie et au-delà, car les patients qui ont des maladies psychosomatiques (neurologiques, chroniques, cancers...) sont aussi concernés". Puis Philippe Courtet rejoint les Pr Leboyer et Llorca qui, dans leur livre Psychiatrie : état d'urgence (éd. fayard), demandent une hausse du budget alloué à la recherche biomédicale en psychiatrie. 

"Le suicide n'a pas pour objectif de mourir"

Qui n'a jamais entendu un "le suicide c'est égoïste" teinté d'une pointe de cynisme ? Mais qu'est vraiment le suicide ? Que sait-on des états psychologique et psychiatrique dans lesquels sont les personnes qui décident de mettre fin à leurs jours ? "On sait aujourd'hui que le suicide n’a pas pour objectif de mourir mais de mettre fin à une souffrance, d'éteindre une douleur devenue insupportable. Ces personnes sont dans une extrême souffrance psychologique, souvent isolées, dans une impasse cognitive où elles pensent ne pas avoir d’autres solutions que celle-là". Précisément, "le moteur du suicide, c’est éteindre une douleur insupportable" et non de mourir. 

Chez les jeunes, le suicide représente la deuxième cause de décès derrière les accidents de la route, mais on recense davantage d'adultes et de personnes âgées dans les faits. "Les gens qui ont des pensées noires les communiquent peu parce qu’ils ont honte : le suicide est anti-biologique, contre nature, donc jusqu’au bout il y a un instinct de survie", nous explique le psychiatre. "Des études ont d'ailleurs démontré que dans la majorité des cas, le délai entre l’apparition des idées de suicide et le passage à l’acte est de moins d’une heure, voire quelques minutes. Il peut y avoir une chronicité des idées, mais il y a toujours une dimension d’impulsivité dans le passage à l'acte". Nuancer le désir de mourir à proprement parler et le suicide est important. Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, la démarche de mettre fin à ses jours semble être une sortie de secours, la seule, la dernière.