Que la médecine ne réponde pas aux règles des mathématiques n’est pas nouveau. C’est particulièrement vrai pour la nutrition et la diététique où émerge de plus en plus la notion d’effet matrice de l’aliment : les effets d’un aliment ne se résument pas à la somme des effets des nutriments qui le composent. Les exemples commencent à s’accumuler en particulier concernant les produits laitiers dont l’effet matrice a été récemment mis en évidence dans différentes études présentées lors du 40ème congrès de la Société Européenne de Nutrition clinique ( ESPEN) qui s’est tenu en Septembre à Madrid.
Le nutriment ne suffit pas à faire l’aliment
Cette notion de matrice est née de l’idée que nous ne mangeons pas des nutriments (c’est à dire des protéines, lipides, glucides, vitamines, minéraux , fibres etc…) mais des aliments dont ces composés multiples interagissent entre eux en fonction de leur structure, de leur biodisponibilité ou de leur synergie… Par exemple la prise de calcium sous forme de compléments alimentaires n’a pas du tout le même effet que sous forme de produits laitiers, idem pour les fibres : les absorber de façon isolée n’est pas du tout la même chose que les manger sous forme de céréales. Pourquoi ? Parce qu’il y a dans l’aliment, de nombreux autres constituants et des nutriments que l’on ne soupçonnait pas et qui vont générer des interactions complexes. Résultat : la biodisponibilité et le métabolisme des nutriments varient.
En fait, il faut penser l’aliment comme ayant un rôle multifonction précise le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service de nutrition à l’Institut Pasteur de Lille : "On n’arrive pas à reproduire les mêmes interactions dans les aliments assemblés. On pourrait être tenté de créer des 'néoaliments' en empilant des nutriments et en mélangeant le tout. C’est oublier qu’un aliment est composé d’une multitude de constituants organisés selon des structures physico-chimiques extrêmement complexes. Il ne suffit pas de rajouter un nutriment pour obtenir un effet".
Autre exemple de l’effet matrice : le fromage. "En dépit de sa teneur en acides gras saturés, la majorité des études conclut que sa consommation n’augmente pas le cholestérol, le risque de diabète et de maladie cardiovasculaire - voire diminue ce risque - grâce à la présence de calcium au sein de la matrice du fromage", explique le Pr Arne Astrup, Chef du département de nutrition à l’Université de Copenhague.
Consommer les protéines le soir
Cet effet matrice joue également un rôle pour limiter la perte musculaire liée à l’âge ou à l’immobilisation. Selon le Pr Luc J.C. van Loon de l’Université de Maastricht aux Pays-Bas "pour atténuer la perte musculaire, il faut avoir une activité physique dans la mesure du possible, et consommer plus de protéines, en particulier avant d’aller dormir car la synthèse musculaire augmente la nuit. La qualité des protéines est essentielle, celles d’origine animale étant les plus efficaces. En particulier, celles des produits laitiers qui combinent des protéines de digestion rapide qui induisent la synthèse musculaire et des protéines de digestion lente, donc étalée dans le temps. Cette complémentarité au sein de la matrice laitière explique l’effet supérieur du lait par rapport au soja sur la synthèse protéique du sujet âgé".
Autre manifestation de l’effet matrice, celle des produits laitiers dans la prévention du cancer colo-rectal. Selon JM Lecerf, "on sait depuis longtemps que la consommation de produits laitiers est associée à une diminution du risque de cancer colo-rectal. Même s’il y a des graisses saturées, il y a aussi du calcium, des probiotiques, des peptides et des nutriments qui jouent un rôle préventif. Et quand on consomme de la viande et des produits laitiers, le risque de cancer du colon est nettement réduit, voire annulé par rapport à une consommation de viande isolée. C’est un effet matrice élargi".
A noter que cette notion d’effet matrice de l’aliment remet un peu en question l’intérêt du Nutriscore, qui ne tient pas du tout compte de cette donnée.
Et finalement, les messages en matière de nutrition, ne varient pas beaucoup: manger varié, essayer de préserver au maximum l’intégrité et la complexité des aliments et ne pas les apauvrir ou les alléger, même si parfois il y a des transformations qui sont utiles et ne pas tenir compte uniquement des nutriments mais tenir compte de l’aliment dans sa globalité.