C’est une affaire qui fait de plus en plus de remous. L'agence Santé publique France a identifié 11 cas suspects supplémentaires d'enfants nés sans bras ou avant-bras dans l'Ain, ce qui porte le nombre total de cas à 18 sur quinze ans dans le même département.
Epée de Damoclès
Pour confirmer cette agénésie (absence totale du bras, de l'avant-bras, de la main et de doigts), il faut s’assurer qu'"elle est isolée" et "n'est associée à aucune autre malformation majeure, ni à une anomalie chromosomique, ni une bride amniotique in utero connue (un filament fibreux) qui aurait pu sectionner le membre", précise à l'AFP le Dr. François Bourdillon, directeur général de l'agence sanitaire. "Jamais, nous n'avons dit que nous arrêtions les investigations, contrairement à ce qui a été dit", poursuit-il. En la matière, l’Anses est désormais son partenaire.
Autre élément nouveau, la procédure de licenciement visant les lanceurs d’alerte à l’origine de l’affaire, l’épidémiologiste Emmanuelle Amar et cinq autres collègues de l’agence de veille sanitaire Remera, est "suspendue", selon cette dernière. Mme Amar voit cette décision comme une "épée de Damoclès au-dessus de leur tête", destinée à étouffer leur action.
Tout est parti d’un rapport confidentiel transmis par la structure Remera, spécialisée dans le recensement des malformations, aux autorités de santé et révélé par un reportage de France 2. Celui-ci fait état d’une anomalie : une concentration 58 fois plus importante que la normale d’enfants nés avec une malformation au niveau du bras ou de la main, soit sept enfants nés sans bras ou sans main entre 2009 et 2014 autour du village de Druillat, dans l’Ain (dans un rayon de seulement 17 kilomètres).
Les échographies n’avaient rien révélé aux parents
Le reportage présente Ryan, un enfant de huit ans, né sans sa main droite. Un choc à la naissance puisque les échographies n’avaient rien révélé aux parents, Mélanie et Jonathan Vitry. "J’ai pleuré, forcément. Et mon mari est tombé dans les pommes", se souvient la maman.
Pour l'instant, aucune explication médicale ne justifie cette concentration de nouveaux-nés mal formés dans cette commune. Seul point commun : les mères d’enfants nés dans bras habitent toute en zone rurale, près de champs de tournesol et de maïs, ce qui font des pesticides les premiers suspects. Reste que "cette affaire est en train de devenir un scandale de sanitaire, la négation poussée à l’extrême de Santé Publique France nous interroge", estime Emmanuelle Amar.
"Santé publique France n’a pas identifié une exposition commune"
Car de son côté, Santé Publique France reconnaît le nombre de cas, mais estime qu’il n’y a pas de problème particulier. "Aujourd’hui, suite à l’investigation des 7 cas rapportés dans l’Ain nés entre 2009 et 2014, l’analyse statistique ne met pas en évidence un excès de cas par rapport à la moyenne nationale, et Santé publique France n’a pas identifié une exposition commune à la survenue de ces malformations", indique l’agence.
Ces experts ont par ailleurs conduit des investigations similaires sur deux signalements survenus en Loire Atlantique (3 cas nés entre 2007 et 2008) et en Bretagne (4 cas nés entre 2011 et 2013). Pour la Loire Atlantique et la Bretagne, l’investigation a conclu à un excès de cas. Cependant, comme dans l’Ain, aucune exposition commune n’a été identifiée pour les cas groupés de ces deux régions.
Les subventions publiques accordées à Remera ont été coupées
Cette bataille d’experts devient encore plus trouble quand on sait que les subventions publiques accordées à Remera, qui travaille sur cette question depuis 45 ans, ont été coupées cet été. "Les conséquences sont très simples, c’est la fin de la surveillance des malformations, c’est-à-dire clairement la fin de l’alerte aussi", s’insurge Emmanuelle Amar. La région, elle, répond simplement que cela ne fait plus partie de ses attributions. L’Inserm justifie l’abandon des subventions en affirmant que "l’apport du registre pour la recherche est très faible". Un commentaire qui interroge puisqu’il y a deux ans, l’ex-ministre de la Santé Marisol Touraine vantait le travail du Remera.
Chaque année, en France environ 150 enfants naissent avec une malformation d’un ou plusieurs membres supérieurs ou inférieurs : bras, avant-bras, main, pied, tibia, péroné, etc. On parle alors "d'agénésieou amputation congénitale", correspondant à l'absence de formation d'un membre au cours du développement embryonnaire, et de "dysmélie", qui veut dire une malformation d'un ou plusieurs membres. Cela fait au maximum un cas et demi par département et par an.