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Grégoire Courtine

Un Français mène une révolution scientifique pour faire remarcher des paralysés

Par Jean-Guillaume Bayard

C’est un petit miracle qui pourrait bien amener une grande révolution pour les personnes paraplégiques. Trois patients paralysés des jambes ont pu remarcher grâce à des stimulations électriques au niveau de leur moelle épinière. Une expérience pilotée par un chercheur français.

vtwinpixel/iStock

Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de Lausanne (Suisse) abrite l’une des plus grandes prouesses scientifiques. C’est ici que Grégoire Courtine, neuroscientifique français, et son équipe de chercheurs suisses ont mis en place un traitement innovant qui a permis à trois patients aux jambes paralysées, suite à un traumatisme de la moelle épinière, de pouvoir marcher. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue scientifique Nature.

Un protocole d’abord testé sur les rats

Tout commence en 2012 lorsque Grégoire Courtine parvient à faire remarcher un rat paralysé. Cette découverte le conforte dans son idée : un jour il parviendra à faire remarcher un humain paraplégique. "Nos découvertes se fondent sur la compréhension approfondie des mécanismes de la marche, acquise au fil de nombreuses années de recherches sur des modèles animaux – des rats et des primates. Ce long travail nous a permis de reproduire en temps réel la manière dont le cerveau active la moelle épinière", explique Grégoire Courtine. Il faudra attendre quelques années pour tester le traitement, à savoir une stimulation électrique de la moelle épinière, mis au point par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Le 4 octobre 2017, la phase de test est terminée et le premier patient est opéré. L’intervention a consisté à poser un implant sur la moelle épinière, au niveau des vertèbres lombaires. "La pose d’un tel implant est couramment pratiquée pour lutter contre la douleur chronique. Ce n’est pas une chirurgie compliquée. L’implant doit juste être positionné très précisément", raconte la professeure Jocelyne Bloch, neurochirurgienne, qui a opéré les trois patients au CHUV.

Des résultats rapides

Cet implant délivre des impulsions électriques qui stimulent les muscles de la jambe. Cette stimulation est contrôlée à distance et activée au moment où le patient souhaite marcher. Un mécanisme minutieux qui fonctionne. "C’est de l’horlogerie suisse !", décrypte le professeur Grégoire Courtine. "Nous utilisons des configurations spécifiques d’électrodes qui activent des zones précises de la moelle épinière, mimant les signaux que le cerveau lancerait pour produire la marche", précise Jocelyne Bloch.

Très vite, les résultats de cette opération sont visibles. "Au bout d’une semaine déjà, les trois patients ont pu remarcher avec cette stimulation ciblée", se réjouit Grégoire Courtine. Après cinq mois d’entraînements intenses, les performances motrices des patients se sont améliorées et ils ont pu retrouver le contrôle de leurs jambes pourtant paralysées depuis plusieurs années. Deux patients sont même capables de faire quelques pas sans l’aide des stimulations. "C’est la première fois qu’on observe une vraie récupération neurologique après une lésion de la moelle épinière survenue depuis longtemps", assure Jocelyne Bloch.

Les nerfs repoussent

Grâce aux entraînements, les patients ont pu déclencher une plasticité neuronale qui leur a permis de pouvoir retrouver le contrôle de leurs jambes. Cette plasticité neuronale est la capacité du système nerveux à réorganiser les fibres et les connexions nerveuses. Le nerfs ont donc "repoussés" et cela permet aux patients de pouvoir marcher sans avoir à activer leur implant.

Cette capacité des patients à marcher sans les stimulations a été vécue comme une grande victoire pour les neuroscientifiques. "Ces résultats sont extraordinaires", juge le professeur Stéphane Palfi, neurochirurgien à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, qui n’a pas participé à l’étude. "Les vidéos des patients qui marchent à nouveau sont impressionnantes. Mais ce qui m’impressionne le plus, c’est de voir, chez deux des patients, la récupération qui se prolonge alors que la moelle épinière n’est plus stimulée. On voit aussi leurs muscles regagner en volume : c’est un bon signe de récupération fonctionnelle. Reste à savoir si cette amélioration se maintiendra ou progressera à long terme."

Rendre ce traitement accessible

Cette première victoire sur la paralysie des jambes se veut un encouragement pour les chercheurs à aller encore plus loin. "Ce n’est que le début de l’aventure", estime Jocelyne Bloch. "Beaucoup reste à faire pour améliorer ces traitements." Pour aller plus loin, Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch ont cofondé une start-up, GTX Medical. Celle-ci devrait permettre de rendre ces dispositifs plus accessibles. "L’École polytechnique fédérale de Lausanne a déposé une vingtaine de brevets sur ces technologies", précise M. Courtine.

Ces résultats doivent toutefois être confirmés. Les chercheurs prévoient déjà de tester l’implant chez cinq autres patients paralysés depuis longtemps. "Puis nous évaluerons cette approche chez des patients accidentés depuis peu", ajoute Grégoire Courtine. "On pourrait faire bien mieux en traitant les patients bien plus tôt", estime Jocelyne Bloch, c’est-à-dire quand leurs muscles et leurs nerfs sont encore peu atrophiés.