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Lombalgie chronique

Mal de dos : la stimulation électrique d’une région du cerveau soulage les douleurs chroniques

Par le Dr Jean-Paul Marre

Pour la première fois dans la lombalgie chronique, des chercheurs ont montré qu'ils pouvaient cibler une région du cerveau avec un faible courant électrique alternatif afin d’y améliorer le rythme des ondes cérébrales naturelles et réduire ainsi les douleurs de manière significative.

SomkiatFakmee/istock

Dans la douleur chronique, il sera peut-être possible d’interférer avec le message neurologique de la douleur dans le cerveau en ciblant des structures spécifiques de cet organe avec de nouvelles stratégies de traitement. Ces nouvelles stratégies peuvent intégrer des techniques non invasives telles que la « stimulation transcrânienne en courant alternatif », ou « tACS ».

Dans une étude, dont les résultats ont été publiés dans le Journal of Pain et présentés à la conférence de la Society for Neuroscience à San Diego, des chercheurs ont utilisés la stimulation transcrânienne en courant alternatif pour stimuler les ondes cérébrales naturelles alpha du « cortex somato-sensoriel » du cerveau, ondes qu’ils avaient théorisées comme étant importantes pour le traitement de la douleur chronique.

Percée scientifique

De nombreux articles ont été publiés sur la stimulation cérébrale au cours de ces dernières années mais, d’après le principal auteur, Flavio Frohlich, directeur du Centre de neurostimulation de Caroline et professeur agrégé de psychiatrie : « c’est la première fois depuis que nous étudions la douleur chronique que les trois éléments d’une étude sont parfaitement alignés ».

« Nous avons ciblé avec succès une région cérébrale spécifique, nous avons amélioré ou restauré l’activité de cette région et nous avons établi une corrélation entre cette amélioration et la diminution significative des symptômes ».

Ondes cérébrales anormales

Des études antérieures ont montré que les personnes souffrant de douleurs chroniques ont des ondes cérébrales anormales ou « oscillations neuronales ». Il existe plusieurs types d’ondes cérébrales liées à différentes régions du cerveau et à divers types d’activités cérébrales : traitement des stimuli visuels, mémorisation, pensée créatrice...

Quand nous parlons, pensons, mangeons, faisons du sport, regardons la télévision, rêvassons ou dormons, notre activité cérébrale crée des profils d’ondes électriques que les chercheurs peuvent mesurer à l'aide d’électroencéphalogrammes, ou EEG. Ces motifs fluctuent ou oscillent, raison pour laquelle ils apparaissent comme des ondes qui montent et descendent sur un imprimé EEG.

Un type d'activité cérébrale est appelé « oscillations alpha », et se produit lorsque nous n’intégrons pas les stimuli extérieurs, par exemple lorsque nous méditons en silence, que nous rêvons sous la douche ou même que nous sommes dans la plénitude d’une activité sportive. Le laboratoire de Frohlich voulait savoir si ces oscillations alpha étaient déficientes dans le « cortex somato-sensoriel », situé dans la partie centrale du cerveau et impliqué dans la douleur chronique.

Une étude de faisabilité

Les chercheurs ont recruté 20 malades souffrant de douleurs lombaires chroniques basses ou lombalgies chroniques. Chacun d'entre eux a déclaré avoir une douleur cotée à au moins « quatre » depuis au moins six mois sur une échelle subjective de un à dix. Chaque participant s'est porté volontaire pour 2 sessions de 40 minutes de stimulation transcrânienne en courant alternatif (tACS ) qui ont eu lieu à une ou trois semaines d'intervalle.

Au cours de toutes les séances, les chercheurs ont fixé un réseau d’électrodes au cuir chevelu des patients et ont ciblé le cortex somato-sensoriel à l'aide d’un électroencéphalogramme de haute précision : il s’agissait de tester si la tACS était capable d’y améliorer les ondes alpha naturelles. Au cours d'une autre session (cross-over), les chercheurs ont utilisé un courant électrique similaire, mais non ciblé sur le cortex somato-sensoriel : il s'agissait d'une session de stimulation simulée (session placebo).

Pendant toutes les séances, les participants ne pouvaient pas faire la différence entre les sessions simulées et celles en tACS. De plus, les évaluateurs en charge de l'analyse des données ne savaient pas quand chaque participant avait subi la session simulée ou la session tACS, rendant cette étude en double aveugle ce qui permet d’éliminer tous les biais à même de perturber les résultats et leur interprétation.

Des résultats après une seule séance

Les résultats de l’étude font apparaître que, chez les personnes souffrant de douleurs lombaires chroniques, on peut effectivement cibler le cortex somato-sensoriel et que la tACS peut améliorer les oscillations alpha dans cette zone précise du cerveau. Tous les participants qui ont eu cette stimulation et cette modification de leurs ondes alpha ont signalé une réduction significative de la douleur immédiatement après les sessions tACS, et cela est significatif selon l’évaluation sur l'échelle de la douleur. De manière remarquable, certains participants ont même déclaré ne ressentir aucune douleur après les séances de tACS.

Par contre, après les séances de stimulation factice, les participants n'ont pas signalé la même réduction de la douleur. Des résultats spectaculaires car apparus après une seule séance donc.

Douleur, première cause d’invalidité

La douleur chronique est la principale cause d'invalidité dans le monde, mais les scientifiques ne sont pas tous d’accord sur le niveau d’implication de l'activité cérébrale dans cette douleur, alors que les circuits de la douleur impliquent proportionnellement plus de mécanismes que les récepteurs et les nerfs périphériques.

Selon Frohlich, le domaine de la recherche sur la douleur s'est trop focalisé sur les causes périphériques de la douleur chronique. Par exemple, si vous avez une douleur chronique du bas du dos, pour la plupart des médecins, la cause et la solution se trouvent dans le bas du dos et dans les parties connexes du système nerveux de la colonne vertébrale.

Cependant, certains chercheurs et cliniciens pensent que la douleur chronique est liée à un désordre neurogène plus profond, et que la maladie peut induire une réorganisation de la manière dont les cellules du système nerveux communiquent entre elles, y compris les réseaux de neurones dans le cerveau. Selon cette approche, avec le temps, ces réseaux se mettent dans une sorte « d’ornière neurale », principale cause de la douleur neurogène chronique.

Il est désormais nécessaire de reproduire ces résultats dans une étude plus vaste et de découvrir les effets de plusieurs sessions de tACS sur le long terme. Il sera également intéressant de voir si cet effet se reproduit sur d’autres types de douleurs chroniques et sur des douleurs plus intenses. Une approche nouvelle de la douleur chronique qui a l’avantage de ne nécessiter aucun traitement médicamenteux.