Une gigantesque enquête baptisée "Implant Files" menée par plus de 250 journalistes dans 36 pays, dans le cadre du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), a révélé de sérieuses défaillances dans le suivi d'implants médicaux comme les pacemakers, prothèses de la hanche, de genoux, d'épaule, stents, valves, prothèses mammaires ou encore les pompes à insuline.
Radio France qui, comme Le Monde et Cash Investigation, a participé à cette enquête, dénonce "l'incroyable légèreté" de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Censée répertorier tous les incidents survenus avec ces implants médicaux depuis 1998 pour garantir un contrôle et un suivi renforcés de leur bon fonctionnement, il semblerait que la base de données en question soit dangereusement incomplète.
"On peut également s’interroger sur la réactivité des autorités sanitaires"
"28 560 déclarations ne donnent aucune explication sur la nature de l’incident. Les lignes du tableau sont tout simplement vides", dénoncent les journalistes. "2 282 déclarations d’incidents ne sont pas datées. Il n’est donc pas possible d’identifier le moment où l’incident s’est produit. Alors que les déclarations sont généralement censées être effectuées 48 heures après un incident, 7 398 signalements ont été effectués un an ou plus après qu’ils ont eu lieu. Dans un cas, la déclaration a même été faite huit ans après l’incident !"
Les journalistes vont jusqu'à s'interroger sur la réactivité de l'ANSM, pourtant censée détecter d'éventuels dysfonctionnements de ces implants et en arrêter la commercialisation le cas échéant. "On peut également s’interroger sur la réactivité des autorités sanitaires, puisque 125 514 de ces incidents n’ont débouché sur aucune décision".
Et pour cause. Le nombre d'incidents survenus à cause de ces implants a augmenté partout dans le monde. Aux États-Unis, ils auraient causé 82 000 morts et 1,7 million de blessés en dix ans. En France, le nombre d’incidents relatifs à ces implants médicaux aurait doublé, avec plus de 18 000 cas en 2017 et environ 158 000 incidents ces dix dernières années. Des données inquiétantes, que reconnait Jean-Claude Ghislain, expert de la question à l’ANSM. "C'est vrai qu'il y a des déclarations tardives. Il est clair qu'il n'y a pas encore une pratique du signalement totalement parfaite en France, et je ne sais pas si ça le sera d'ailleurs facilement un jour."
Les scandales liés aux prothèses mammaires
Ces failles permettent de mieux comprendre comment un scandale sanitaire tel que celui des prothèses mammaires Poly Implant Prothèse (PIP) a pu survenir. En France, 30 000 femmes (et plus 400 000 dans le monde) étaient porteuses de ces implants mammaires frauduleux qui ont enregistré un taux anormal de ruptures et l'utilisation d'un gel "différent de celui déclaré lors de la mise sur le marché".
Dernièrement, l'ANSM a déconseillé aux chirurgiens d'avoir recours aux implants mammaires à enveloppe texturée. Ces matériaux ont été associés au développement de lymphomes anaplasiques à grandes cellules, un cancer rare et agressif. 53 cas de lymphome anaplasique à grandes cellules ont été associés aux implants mammaires (LAGC-AIM) déclarés à l’ANSM entre 2011 et juillet 2018. Parmi ces 53 patientes, cinq sont décédées, dont trois en lien avec une progression du LAGC. Pour les deux autres patientes, l’imputabilité reste incertaine. Une meilleure tenue de cette fameuse base de données aurait-elle pu éviter ces incidents et ces décès ?