La survenue d’une atteinte rénale au cours d’un diabète modifie en profondeur le pronostic et la prise en charge de la maladie du fait de l’aggravation de pronostic cardiovasculaire qu’elle induit. Cela va également induire des changements d’objectifs thérapeutiques, pour le diabète bien sûr, mais aussi pour la pression artérielle et c’est un élément majeur de protection du rein. Enfin, cela va s’accompagner de choix privilégié de molécules antidiabétiques qui ont un effet protecteur pour le rein, mais aussi de restrictions à l’utilisation d’autres molécules qui sont contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale.
Un dépistage qui peut être amélioré
Le dépistage de l’insuffisance rénale est correctement fait chez le diabétique et 80% des malades ont une mesure annuelle ou biannuelle de la créatinine, ce qui n’est pas idéal, mais qui n’est pas si mal non plus. En revanche, ce qui n’est pas suffisamment fait, c’est le dosage de l’albuminurie, qui est très important pour fixer le niveau de risque rénal et cardiovasculaire.
En effet un taux d’albumine supérieur à 30 milligramme dans les urines indique qu’il y a une atteinte rénale. Cette constatation va déboucher sur la prescription d’anti-hypertenseurs bloqueur du système rénine-angiotensine (inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2). Il s’agit de régler le problème de l’hypertension artérielle qui est pratiquement toujours associé et de prévenir l'aggravation de l’insuffisance rénale.
Un facteur de sur-risque cardiovasculaire
A partir du moment où la fonction rénale est altérée, il va y avoir une augmentation du risque de syndrome coronarien, de fibrillation auriculaire, d’insuffisance cardiaque, de mort subite et d’AVC. Et plus la fonction rénale est altérée, plus on va avoir un sur-risque, et donc cela va forcément modifier la surveillance cardiovasculaire et la stratégie thérapeutique de protection cardiovasculaire. Enfin, cela va modifier la stratégie d’utilisation des antidiabétiques car tous les médicaments ne sont pas utilisables en cas d’altération de la fonction rénale.
Les diabétiques d’une manière générale ont plus d’accidents d’insuffisance rénale aiguë que les autres et ce sur-risque peut être multifactoriel (médicament, déshydratation ou infection) et à partir du moment où la fonction rénale est altérée, ils en font encore plus. Il faut donc intensifier la surveillance du rein et du cœur, car la survenue d’une insuffisance rénale aiguë aggrave également le pronostic cardiovasculaire.
Un évènement qui change la stratégie
L’altération de la fonction rénale au cours du diabète, est un facteur de risque cardiovasculaire majeur. Pour les néphrologues, dès qu’un diabétique a une microalbuminurie, il faut absolument contrôler au mieux la pression artérielle avec un traitement associant au moins un bloqueur du système rénine-angiotensine (inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2). Il faut aussi s’assurer que les doses de ces médicaments sont maximales et que la pression artérielle est bien contrôlée, y compris au domicile, en mettant en place des mesures de surveillance automatisées de la pression artérielle.
En cas d’altération modérée de la fonction rénale, l’association d’un diurétique à l’un de ces 2 antihypertenseurs bloqueurs du système-rénine-angiotensine est une très bonne association parce qu’elle est synergique sur la protection rénale. En revanche, s’il n’y a pas de protéinurie, et on voit de plus en plus de diabétiques insuffisants rénaux sans protéinurie, l’association la plus adaptée est celle d’un bloqueur du système rénine et un inhibiteur calcique. Deuxième point, à partir du moment où l’albuminurie n’est pas normale, il va falloir avoir une surveillance plus rapprochée.
La révolution des antidiabétiques
Du point de vue des antidiabétiques, il y a eu des avancées considérables en termes de protection du rein, la « néphroprotection ». Les inhibiteurs du SGLT2 ont ainsi démontré qu’ils apportaient une protection considérable pour le rein. Cette classe de médicaments n’est pas encore disponible en France mais ils vont devenir incontournables. Il en est de même pour certains analogues du GLP1 qui apportent une néphroprotection majeur et, pour certains (dulaglutide, liraglutide), sans nécessité d’ajustement des doses jusqu’à un stade avancé d’insuffisance rénale.
A l’opposé, l’altération de la fonction rénale pose des problèmes de choix et d’adaptation des doses parmi les autres classes médicamenteuses : il n’y pas d’adaptations de posologie à faire pour le dulaglutide, le liraglutide (agonistes du GLP1) et les inhibiteurs des DPPP-4, qui peuvent être utilisés jusqu’à 15 millilitres par minute sans adaptation posologique. Par contre, il faut adapter la dose de la metformine, mais on peut désormais continuer l’utiliser jusqu’à 30 millilitres par minute si elle était déjà prescrite avant l’apparition de la dégradation de la fonction rénale. Les inhibiteurs du SGLT2 ne doivent pas être utilisés en-dessous de 45 millilitres par minute. Les sulfamides hypoglycémiants ne doivent pas être utilisés en-dessous de 30 millilitres par minute.
La prise en charge d’un diabétique qui a une insuffisance rénale, et donc un haut risque cardiovasculaire, doit prioritairement se focaliser sur le contrôle de la glycémie et de la pression artérielle. Il faut également s’assurer aussi que la pression artérielle est bien contrôlée à domicile. C’est le point le plus important. Il faut également ajuster les traitements antidiabétiques en fonction de la progression de l’insuffisance rénale mais, la grande avancée de ces dernières années, est la démonstration que certains antidiabétiques ont un effet protecteur pour le rein. Enfin, si l’on n’est pas sûr que l’altération de la fonction rénale est en rapport avec la diabète, il faut absolument demander l’avis du néphrologue qui réalisera les examens nécessaires pour affirmer ou infirmer cette hypothèse.
L'interview du Pr Jean-Michel Halimi, néphrologue au CHU Tours