A la demande de nombreux malades et de certains médecins, et pour prendre en compte ce qui se passe dans d’autres pays, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait lancé en septembre une évaluation pour mesurer l'intérêt de la prescription du cannabis thérapeutique. Selon son dernier communiqué de presse, ce comité d’experts vient de rendre des conclusions favorables à son usage sous conditions.
On peut comprendre les motivations compassionnelles de cette décision pour des malades en fin de vie et sans solution thérapeutique. Le comité a ainsi « considéré, à l’instar de plusieurs autres pays développés, qu'il n'était pas « éthique » de refuser aux patients un traitement qui pourrait les soulager. D'autant que de nombreux malades ne nous ont pas attendus, ce qui les expose à des risques ». On trouve en effet facilement des médicaments à base de cannabidiol sur internet, même si on ne sait pas réellement ce qu’il y a dedans.
Mais, il faut être conscient que c’est une nouvelle entorse faite au processus normal de validation des médicaments : une décision risque d’être prise alors qu’elle n’est pas étayée par des preuves scientifiques concluantes, les études sérieuses n’ayant le plus souvent pas été réalisées. Après le cas du Baclofène, c’est une nouvelle une exception au rigoureux processus de validation scientifique habituel. Le « pas complètement rationnel » devient une habitude dans le système de soin français.
Qu’est-ce que le cannabis thérapeutique ?
Le cannabis est un terme générique utilisé pour désigner les drogues produites à partir de plantes appartenant au genre « Cannabis » : THC et cannabinoïdes. Du fait de ses effets psychoactifs planants, le tétrahydrocannabidiol, ou THC, qui est contenu dans le cannabis, en fait l'une des drogues récréatives les plus populaires. Cependant, les concentrations de THC varient grandement selon les plants de cannabis et les modes de culture.
Le « cannabis médical », ou « cannabis thérapeutique », fait référence à l'utilisation de cannabis ou de cannabinoïdes (cannabidiol en particulier) en tant que traitement médical pour traiter une maladie ou atténuer des symptômes. Le cannabidiol est le deuxième cannabinoïde le plus étudié après le THC et est présent dans de nombreuses préparations. Les cannabinoïdes prescrits actuellement dans le monde comprennent les gélules de dronabinol, les gélules de nabilone et les nabiximols en vaporisateur par voie orale.
Le cannabis et les cannabinoïdes peuvent être administrés par voie orale, sublinguale ou topique. Ils peuvent être fumés, inhalés, mélangés à de la nourriture ou transformés en thé. Ils peuvent être pris sous forme de plantes ou d’extraits naturels de la plante (obtenus par isomérisation du cannabidiol) ou, enfin, être fabriqués de manière synthétique.
Quelles preuves d’efficacité ?
Le cannabis pourrait agir sur la douleur chronique par le biais de la stimulation de récepteurs cannabinoïdes dans le cerveau (faible affinité), mais aussi de mécanismes non-cannabinoïdes (effets anti-inflammatoires et neuroprotecteurs). Ces effets semblent dépendre de la dose et agiraient sur la transmission entre les cellules nerveuses (transmission synaptique) au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. L'inhibition des flux d’information à ce niveau pourrait avoir un rôle dans le développement de douleurs chroniques associées à une inflammation locale ou à une lésion nerveuse. Une réduction de l’hypersensibilité à la douleur (« allodynie ») avec le cannabis a été démontrée chez la souris.
Une revue systématique des bénéfices et des effets indésirables du cannabis et des cannabinoïdes a été publiée dans le JAMA en 2015. Intégrant 79 études et 6462 malades souffrant de douleurs chroniques, mais aussi de spasticité ou d’épilepsie, elle avait montré que les études était le plus souvent de médiocre qualité et que si un bénéfice pouvait exister sur la spasticité de la SEP et certaines épilepsies de l’enfant, son effet sur la douleur chronique était plus incertain. Par contre, il existait des effets indésirables patents. Dans une étude récente sur la douleur réfractaire, le cannabis a montré une efficacité chez les patients pour lesquels les options de traitement traditionnelles avaient échoué. Mais une large étude de cohorte australienne, sur plus de 1500 malades douloureux suivis 4 ans, montre que le cannabis ne réduirait ni la douleur, ni la consommation d’opioïdes… Il nous faut donc de vrais essais randomisés, en double aveugle, et de taille suffisante pour objectiver un éventuel effet antalgique par rapport à un très probable effet sur la capacité à supporter la douleur
Les maladies concernées selon l’ANSM
Dans le communiqué de l’ANSM, le Comité estime, qu’il est pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique pour les patients dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques disponibles. Cet usage peut être envisagé en complément ou en remplacement de certaines thérapeutiques.
Les experts ont ainsi retenu certaines situations justifiant l’usage du cannabis : « en cas de douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles, dans certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes, dans le cadre des soins de support en oncologie, dans les situations palliatives et dans la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ».
On ne peut être que surpris de voir cette liste mélangeant allègrement des douleurs mal caractérisées à d’autres mieux définies, et où les preuves d’efficacité sont douteuses, avec des épilepsies de l’enfant et des spasticités de la SEP, où les études sont de meilleures qualités bien que de petite taille. Selon l’expression consacrée, « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », on peut se demander quel est l'objectif poursuivi en mélangeant les faibles preuves d’efficacité obtenues sur la douleur au milieu des autres maladies.
Un registre qui laisse dubitatif
Le Comité souhaite cependant « qu’un suivi des patients traités soit mis en place sous forme d’un registre national pour assurer une évaluation de son bénéfice/risque, qu’une évaluation des effets indésirables soit régulièrement faite par les réseaux de pharmacovigilance et d’addicto-vigilance, et que la recherche soit favorisée ».
Ce registre est probablement un vœu pieu. Si les pouvoirs publics n’ont jusqu’ici pas eu les moyens de réaliser à minima des études classiques de validation de l’efficacité du cannabis thérapeutique dans la douleur chronique, il aura encore moins les moyens de réaliser un registre tel qu'il permettra de tirer des conclusions pertinentes sur l’efficacité de ces produits.
Il est en effet possible de réaliser des études en vie réelle qui montrent quelque chose (même si le niveau de preuve est inférieur aux études contrôlées), mais il faut travailler sur une seule maladie et non sur un « mélange de choux et de carottes ». De plus, il faut avoir un grand nombre de malades traités par le cannabis thérapeutique et d’autres qui ne le sont pas, afin de les comparer en utilisant la méthode des scores de propension. Pour appliquer cette méthode, il faut avoir des critères d’évaluation homogènes et beaucoup de malades, afin de pouvoir apparier a posteriori un malade traité avec un autre malade identique mais non traité.
Une décision relativement peu scientifique
Le cannabis thérapeutique serait paré de toutes les vertus contre la douleur, si l'on en croit certains malades et internet. En réalité, les preuves scientifiques sur son efficacité manquent, car très peu d'études de bonne qualité méthodologique ont réellement été réalisées. Pourtant, cela n'empêche pas un juteux business de se mettre en place, sur internet, mais aussi en France : certains agriculteurs français, réclament désormais le droit de produire du cannabis à usage médicinal.
Il n’y a aucun problème éthique à laisser des malades en fin de vie utiliser ce type de produits si cela les soulage et les aide, mais que l’on ne nous dise pas que de véritables preuves d’efficacité existent et qu’il est possible d’en conseiller l’utilisation pour une large part de la population. C’est une nouvelle entorse au processus scientifique de validation des médicaments.