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American Epilepsy Society

Épilepsie et cannabis thérapeutique : l’accoutumance limite son efficacité

Par Jean-Guillaume Bayard

Les patients atteints d’épilepsie qui se soignent grâce au cannabis thérapeutique peuvent développer une accoutumance, expliquent des chercheurs israéliens. De quoi interroger sur les effets à long terme de l’utilisation de la marijuana à des fins médicales.

VictoriaBee/iStock

Plusieurs études ont montré les effets bénéfiques du cannabis dans le traitement des formes les plus sévères d’épilepsie. Cependant, une nouvelle étude, menée par des chercheurs israéliens, interroge sur l'intérêt à long terme. "Il y a cette notion que le cannabis est un excellent médicament, qu'il est bien meilleur en terme de taux de réponse que d'autres prescriptions pour les patients atteints d'épilepsie résistante au traitement classique, mais ce n'est peut-être que le début", explique Shimrit Uliel-Sibony, médecin spécialiste en épileptologie pédiatrique lors de la présentation de l'étude au cours au rendez-vous annuel de l'American Epilepsy Society (AES).

Un suivi sur trois mois

Avec le temps, l’efficacité du cannabis thérapeutique sur les patients atteints d’épilepsie peut diminuer, entraînant la nécessité d’augmenter les doses. "Les médecins doivent être conscients qu'une accoutumance peut s'installer", précise Shimrit Uliel-Sibony. "Nous savons que la marijuana peut avoir des conséquences cognitives avec une utilisation récréative chronique à long terme. Je pense que nous devons être un peu plus prudents quant à nos attentes concernant cette thérapie".

Pour évaluer l'efficacité à long terme des cannabinoïdes (CBD), composant du cannabis qui est utilisé pour soigner l’épilepsie, les chercheurs ont mené une étude d’observation auprès de patients enfants et adultes. Ils ont observé 92 patients, âgés de 1 à 37 ans et souffrant d’une épilepsie résistante aux traitements traditionnels. Aucun de ces patients n’a auparavant été soigné avec du cannabis médical. Ils ont reçu quotidiennement pendant trois mois un extrait d’huile de cannabis contenant du CBD et une faible quantité de tétrahydrocannabinol (THC), responsable des effets psychoactifs de la plante. Les scientifiques estiment que la combinaison de CBD avec une très faible quantité de THC "permet d'utiliser une dose plus faible de CBD".

Un patient sur quatre a développé une accoutumance

Après trois mois de traitement au cannabis, les chercheurs ont constaté qu'environ 29% des patients ont vu leurs crises d’épilepsie diminuer de 50 à 75%, confirmant les bienfaits à court terme de cette thérapie. Mais 25% des patients ont développé une accoutumance au cannabis.

Afin de neutraliser l'accoutumance, les chercheurs ont augmenté la dose de CBD. Environ 20% des patients ont alors pu atteindre la même efficacité qu'avant le développement de l'accoutumance. Près de la moitié d’entre eux n’est pas parvenue à retrouver les effets positifs du cannabis malgré l’augmentation de la dose. Malgré tout, chez certains patients, l'accoutumance a pu être inversée avec une réduction progressive de la dose de CBD puis son arrêt pendant 2 à 3 semaines avant de reprendre la même dose qu'au début. Grâce à cette approche, l'efficacité initiale a été retrouvée.

La question du THC

Quelle est la cause de cette accoutumance ? La scientifique Shimrit Uliel-Sibony avance qu'elle pourrait être due à une "désensibilisation des récepteurs". "Si nous retirons le médicament, les récepteurs des patients redeviennent sensibles", ajoute-t-elle. L'une des explications envisagées concerne la présence de THC dans le traitement. Cependant, les chercheurs ne peuvent pas conclure que l'accoutumance soit liée à la présence de THC, comme le suggère les publications sur le sujet.

Cette question reste à éclaircir mais la chercheuse précise qu'"avoir une petite quantité de THC dans le produit semble avoir des effets secondaires positifs". Les parents de certains patients ont ainsi signalé que les enfants avaient amélioré leur sommeil et leur appétit et qu'ils étaient plus concentrés.

Shimrit Uliel-Sibony espère continuer à suivre les patients de l'étude pendant une période plus longue "afin d'obtenir une meilleure compréhension" de l'accoutumance. Consciente des attentes qui entourent la thérapie à base de cannabis, elle met en garde "les familles qui pourraient être induites en erreur par le battage médiatique entourant la marijuana à des fins médicales".