"Etre" une fille ou un garçon s’enseigne dès l’école maternelle. Tel est le constat d’une étude russe parue ce mois-ci dans le Journal of Social Policy Studies. D’après les chercheuses à l’origine de ces travaux, les enseignants de maternelle transmettent aux enfants des notions traditionnelles de féminité et de masculinité, apprenant par exemple aux filles à bien se tenir, à être jolies et obéissantes et à aimer le rose. Et le tout le plus souvent avec l’accord des parents.
Pour en arriver à ces conclusions, les Professeurs Olga Savinskaya et Anastasia Cheredeeva de l’Ecole de Sociologie de Moscou ont interrogé des mères âgées de 27 à 40 ans et leurs filles, ces dernières ayant entre 4 et 7 ans. Et d’après les témoignages recueillis, les professeurs enseignent souvent que "filles devraient toujours être propres et jolies et que les garçons devraient les protéger et prendre soin d’elles".
Enseignants et parents s’accordent d’ailleurs généralement à dire que la musique, le chant et la danse sont des éléments obligatoires d’une "éducation féminine", remarquent les chercheuses, expliquant que les mères forcent souvent leurs filles à avoir des activités artistiques sans prendre en compte leurs intérêts réels. "Nous sommes très heureux que notre fille ne résiste pas à aller à ses cours de musique. Elle ne semble pas détester cette activité. Son père et moi aimerions beaucoup qu’elle devienne musicienne professionnelle", aurait notamment déclaré une maman interrogée.
Des fillettes qui veulent devenir maîtresses ou vétérinaires
"Dans le processus de socialisation, les filles sont sensées se montrer conformes à un idéal", observent donc Olga Savinskaya et Anastasia Cheredeeva. Ce dernier les veut jolies, polies, travailleuses et artistiques. Comme à la maison, à l’école, on leur parle de métiers ayant un rapport avec la santé ou les animaux. Aussi, "les fillettes âgées de 4 à 7 ans veulent devenir vétérinaire et enseignantes", remarquent les sociologues.
Concernant les jeux, les enseignants poussent les filles à se prendre pour des princesses ou des mamans, ce qui renforce la notion habituelle selon laquelle une "femme doit devenir mère". Toutefois, force est de constater que beaucoup de fillettes ont déjà "une tendance à montrer des attachements maternels", reconnaissent les scientifiques.
A terme, cette façon de faire pourrait limiter certaines opportunités pour les filles, s’inquiètent-elles, voyant un véritable danger dans le fait que le sexe biologique d’une personne détermine les activités dans lesquelles elle s’engage en grandissant. Les filles ont d’autres moyens d’atteindre leur potentiel que via une profession où elles doivent prendre soin des autres, s’insurgent-elles.
Filles et garçons rarement poussés à jouer ensemble
Quant aux garçons, ils sont encouragés à être eux-mêmes et à se montrer actifs, à faire le plus de sport possible. Et sans surprise, les données indiquent qu’ils s'intéressent à des professions plus physiques que les filles telles que pompier ou chauffeur.
Malgré tout, la plupart des enfants interrogés déclarent aiment participer "à des jeux non structurés dans lesquels ils peuvent créer leurs propres règles en testant ce que leurs jouets peuvent faire et en se créant de nouveaux rôles". Mais s’il arrive que certains enseignants poussent garçons et filles à jouer ensemble, cela demeure très rare, note l’étude.
Enfin, un lien étroit existe entre l’identification sexuelle et des facteurs extérieurs tels que les vêtements et des normes de comportements chez les enfants, poursuivent les chercheuses. Ainsi, filles et garçons se voient attribuer des couleurs spécifiques. On "enseigne aux fillettes à porter du rose parce que la société dicte que cette couleur est associée à l’image de la féminité".
Le "curriculum caché" de l'école
Et ça commence même avant la maternelle puisque dès la naissance, le formulaire autorisant la sortie des bébés filles de la maternité est placé dans une enveloppe rose, rappellent Olga Savinskaya et Anastasia Cheredeeva.
Ainsi, force est de constater que le système éducatif et la famille transmettent dans une mesure égale des attitudes sociales et des rôles aux enfants. C’est ce que certains sociologues appellent "le curriculum caché" de l’école. "Le curriculum caché, c'est la part des apprentissages qui n'apparaît pas programmée par l'institution scolaire, du moins pas explicitement. On se trouve ici dans le registre des notions construites par la sociologie pour rendre compte des effets involontaires des actions et des institutions humaines", expliquait notamment Philippe Perrenoud de la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation à l'Université de Genève en 1993.
En France, les rapports critiquant les "clichés sexistes" véhiculés par l’école s’accumulent depuis les années 1980. Afin de mieux promouvoir l’égalité des sexes, le gouvernement Hollande avait décidé de modifier les manuels scolaires en 2014. Deux ans plus tard, le débat sur "le genre" à l’école avait été relancé par le pape François lui-même après que ce dernier a accusé les manuels scolaires français de véhiculer la "théorie du genre". Il avait même été jusqu’à employer le terme de "colonisation idéologique".