De nombreux travaux avaient déjà montré que lorsqu’ils sont victimes de violence ou vivent dans la pauvreté, les enfants conservent des séquelles jusqu’à l’âge adulte. Mais jusqu’ici, aucune étude ne s’était intéressée à la condition inverse : dans quelle mesure une enfance heureuse, entourée de parents aimants et protecteurs, influence-t-elle la vie future ?
Une meilleure distinction du danger
Une nouvelle étude menée par l'Emory School of Medicine aux États-Unis tente de répondre à cette question. Pour étudier l’impact ce qu’une relation parents-enfants aimante et complice avait sur le long terme, une équipe de chercheurs dirigée par les Pr Jennifer Stevens et Tanja Jovanovic a utilisé l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour observer l'activité dans l'amygdale. Ce noyau, situé au sein de l’uncus dans le lobe temporal, est une zone clé du cerveau qui traite la peur et les émotions.
Les chercheurs ont analysé l’activité de l’amygdale d’enfants âgés de 8 à 13 ans en leur montrant une série de photos de visages d'adultes neutres ou exprimant la peur. Les amygdales des enfants qui avaient été victimes de violence dans leur vie sont devenues plus actives en réponse aux deux types de visages, ce qui suggère que ces enfants peuvent avoir des réactions émotionnelles, se battre ou fuir, même lorsqu’ils sont face à des indices sociaux qui ne sont pas particulièrement menaçants. D’après les scientifiques, il s’agirait d'une réaction adaptative au fait de grandir dans un environnement imprévisible ou dangereux. Chez les enfants qui n'avaient pas été victimes de violence, les amygdales n'étaient plus actives qu'en réponse aux visages effrayés.
Une relation forte avec la mère protège du stress
Dans une autre partie de l'expérience, les chercheurs ont demandé aux enfants et à leurs mères de collaborer à une tâche difficile de gravure sur esquisse et d'évaluer les expressions des mères pendant l'interaction. Puis ils ont demandé aux enfants de regarder des photos de visages. Lorsque les mères avaient été plus positives envers leurs enfants, les amygdales des enfants plus jeunes, âgés de 8 à 10 ans, ont diminué avec le temps en réponse aux visages craintifs. Cela donne à penser que, chez les jeunes enfants, la relation avec la mère influe sur la réaction du cerveau aux menaces environnementales potentielles. Le même effet n'a cependant pas été observé chez les enfants plus âgés.
La même équipe de chercheurs avaient déjà mené des travaux similaires, au cours desquels ils avaient établi que la distance physique entre les jeunes enfants et leur mère peut influencer la façon dont les enfants évaluent le danger. Dans l'étude précédente, les jeunes enfants qui étaient physiquement plus près de leur mère étaient mieux en mesure de différencier les stimuli sûrs des stimuli menaçants. Encore une fois, les enfants plus âgés n'ont pas montré le même effet.
Ces nouveaux résultats indiquent que même si un enfant grandit dans un environnement stressant, les relations parentales peuvent le protéger, affirme le Pr Stevens. "Des interventions telles que la formation des parents visant à aider les parents à réagir positivement aux jeunes enfants pourraient être particulièrement importantes dans les situations très difficiles ou lorsque les ressources sont limitées", dit-elle.
Les enfants stressés, plus enclins à la dépression à l’âge adulte
Ces travaux menés par l’Emory School of Medicine sont à mettre en relation avec une étude de l’Ohio State University, présentée lundi 5 novembre lors de la réunion annuelle de la Society for Neuroscience, qui se déroulait à San Diego, en Californie.
Selon ses auteurs, ce stress connu pendant l’enfance a de réelles conséquences sur le développement neurologique des jeunes gens qui y sont confrontés. Une fois adultes, ils sont plus susceptibles d’être touchés par la dépression ou l’anxiété. En cause : le rôle joué par les mastocytes, des cellules immunitaires qui jouent un rôle majeur dans la défense immunitaire de notre organisme et qui sont susceptibles d’occasionner des troubles de l’humeur.
Leurs travaux, menés pour le moment sur des rats, pourraient à terme aider à établir des liens au niveau moléculaire entre les expériences traumatisantes vécues dans l’enfance et le développement de la dépression et de l’anxiété à l’adolescence et à l’âge adulte.