Suicides, burn-out ou démissions des personnels hospitaliers, non-remplacement des médecins à la retraite, désertification médicale, manque de personnel soignant dans les hôpitaux, délais invraisemblables de rendez-vous, près de 15% des français sans médecin traitant… la crise de la santé ne fait que s’accélérer, à l’hôpital comme en ville.
On s'attendait à une mobilisation générale pour organiser un "grand débat national" impliquant les sociétés savantes, les enseignants, les communautés professionnelles, les syndicats, les associations de malades, la société civile, mais on ne voit rien venir. On a bien regardé, la santé n'est pas dans les 35 question de la lettre du Président de la République ni dans les 4 thèmes. Même si certains maires ont évoqué le sujet.
Les médecins et les soignants crient leur souffrance mais pas grand monde ne les entend. Ou peut-être une fois de temps en temps quand il faut faire 50 kilomètres pour accoucher ou attendre plus de 3 heures dans des urgences saturées. A ce moment-là, c’est un problème, mais comme cela n’arrive qu’une fois de temps en temps… Il faudrait des gilets jaunes.
40 ans de mauvais choix
Le point de départ des problèmes remonte aux années 1970-1980, quand les dépenses de santé augmentaient trop vite au gré des pouvoir publics. Un jour, quelqu’un a eu une brillante idée : "pour baisser les prescriptions, et donc les dépenses, il suffit de réduire le nombre de prescripteurs… ". Et on a mis en place un numerus clausus drastique qui a asséché la sortie des jeunes médecins, un choix d’autant plus pernicieux qu’il existe un décalage de 10 ans entre la décision et l’effet : le temps nécessaire pour former un médecin aujourd’hui.
Dans le même temps, la population française a augmenté de 10 millions d’habitants et elle a aussi vieilli, consommant de plus en plus de soins. Ajoutez là-dessus, les 35 heures pour les salariés de l’hôpital et l’impact moral qui en a découlé en ville : on aboutit à une réduction du temps de travail à l’hôpital et à un découragement des installations en ville, trop chronophages et pas assez rentables. Un effet de ciseaux redoutable par rapport à la charge de travail croissante.
Les réformes ne se sont pas arrêtées là. En témoigne celle des médicaments : pour réduire les dépenses liées aux médicaments, les financiers ont poussé au recours aux génériques. Un choix universel, mais le problème aurait pu être géré à travers une réduction de prix à proportion d’un allongement de la durée du brevet. Le brevet des médicaments est de type "industriel", d’une durée de 15 ans avec 7 ans pour le développement d’un médicament, car il est plus difficile que celui d’une machine-outil (dans le même temps, les brevets sur les lignes de code des logiciels durent 88 ans). Au final, on a des nouveaux médicaments incroyablement chers et des génériques qui sont fabriqués ailleurs, en Inde ou en Chine, avec des contaminations à répétition par des produits non-conformes, voire potentiellement cancérigènes.
Le système de santé français ne coûte pas si cher
Les pouvoirs publics nous l’ont répété sur tous les tons : les dépenses de santé sont trop élevées en France. Pourtant, si la France est 4ème de l’OCDE en pourcentage du PIB consacré à la santé, elle n’est que 11ème en euros dépensés par habitant (données de l'OCDE). Le système de santé français ne coûte donc pas si cher, il est dans la moyenne basse des pays développés.
Par rapport à cette dépense modérée, il n’y a pas assez de médecins généralistes en ville car ils ne sont pas très bien payés (26ème de l’OCDE pour les revenus) et leur installation coûte cher. Les infirmières manquent à l’hôpital et elles sont également mal payées. Sur les plus de 1000 hôpitaux français, le nombre de lit a significativement baissé depuis 1981 avec une suppression d’un lit sur 4 dans le secteur public, d’un lit sur 5 dans le secteur privé. La chirurgie ambulatoire n’a pas compensé cette baisse drastique.
Certaines économies sont allées trop loin
Il paraît difficile de faire plus à l’hôpital qui est, de l’avis de tous, "à l’os" avec des problèmes de personnels non-médicaux qui aboutissent à des fermetures de lits alors que les urgentistes passent une partie trop importante de leur temps à chercher une place d’hospitalisation pour les malades des urgences. Le problème de l’Assistance Publique à Paris est à part et correspond à une volonté non-avouée des pouvoirs publics de regrouper les services et d’y fermer des lits.
Certains ont proposé la baisse des remboursements des frais de transports, qui ont coûté 4,8 milliards d’euros en 2018 (+4,4%). Mais est-ce logique de baisser cette enveloppe budgétaire quand, dans le même temps, on éloigne des campagnes les ressources médicales dans certaines régions. Il faut désormais parfois faire une cinquantaine de kilomètres pour trouver une maternité ouverte et, dans le même temps, il y a une absence quasi complète de transports en communs dans beaucoup de petites villes.
Les baisses de remboursements des médicaments ont été la martingale budgétaire de ces dernières années. Mais les prix français sont parmi les plus bas. En témoigne d’ailleurs un nombre de ruptures de stock en augmentation chaque année : les industriels préfèrent choisir d’autres pays plus rentables pour les approvisionner en priorité lorsque les demandes sont tendues : la France est servie parmi les derniers pays et souvent quand il n'y en a plus.
Il y a des économies qu’il est possible de faire
Certains ont proposé de faire des économies en supprimant la double gestion des remboursements qui coûte 7 milliards d’euros pour la CNAM (76% des remboursements) et 7 milliards d’euros pour les complémentaires santé (pour 13% des remboursements). Mais c’est une réforme qui ne s’annonce pas facile.
La tarification à l’activité (T2A) a poussé les médecins et les chirurgiens à faire du chiffre avec des actes et des gestes "rentables" en apparence mais au détriment d'autres activités, ce qui peut poser question dans les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU). La T2A n'aient clairement pas adaptée aux maladies chroniques et elle est par nature inflationniste car elle pousse à multiplier les actes. D'après l'OCDE, 20% des actes et des prescriptions seraient ainsi encore injustifiés. Cela ne permet pourtant pas à l’hôpital de compenser les déficits induits car il est régulé d’une main de fer, à la différence de la ville, et il traite beaucoup de maladies chroniques. Une réforme de la tarification des maladies chroniques est en cours de discussion, c’est un espoir.
Un autre chiffre dont on ne parle jamais est la deuxième place de la France (derrière les USA) pour la somme totale (ou la part du PIB ou la part des dépenses de Santé), consacrée à l'administration de la santé... Le corps professionnel le plus immunisé à l’hôpital est l'administration, puisque c'est elle qui embauche : nous consacrons en France 6% de nos dépenses de santé en administration, alors que la plupart des autres pays développés oscillent entre 1 et 3%... Au vu des résultats actuels, on a là une piste sérieuse pour faire des économies.
La réformes correspond-elle aux attentes ?
La réforme de la santé qui s’annonce reste cependant un rafistolage de ce qui ne marche plus à grand renfort de rustines (par exemple, le nombre ridicule des 4000 assistants médicaux au regard des 88 000 médecins généralistes...). Elle a été décidée dans l’entre soi de la haute administration française, dont les principaux conseillers disent qu’elle est autiste. Elle sera appliquée in extenso par une administration française disciplinée (elle n’a pas le choix). Elle risque de conduire, comme les autres réformes, à un télescopage avec le principe de réalité, mais les gens qui les auront proposé seront partis.
Quarante ans de réformes contradictoires ont abouti à une sur-administration de la médecine et à une perte d’influence de ceux qui l’exercent au quotidien dans le choix des décisions qui sont prises. Même si le diagnostic qui a été présenté par le Président de la République n’est pas dénué de sens et même si les outils qui sont proposés pour y remédier ne sont pas complètement illogiques, il aurait été bon d’en faire un débat national pour se mettre d’accord collectivement sur les attentes réelles de la population et le type d’organisation de la Santé voulu en France.
Le peuple français souverain
Tout le monde, ou presque, a bien compris que les enveloppes budgétaires ne sont pas extensibles et que l’on préférerait baisser les impôts et les charges sociales pour redynamiser la société et réduire la dette. Mais chaque année, la représentation nationale ne fait qu’une petite partie du travail sur la santé : elle se contente de voter une augmentation budgétaire pour les dépenses de santé en fonction de l’inflation et d’un certain nombre de critères, mais elle ne définit absolument pas quelles sont les priorités de santé et pour qui.
Puisqu’il n’y a pas assez d’argent pour tout faire, et que les derniers médicaments sont trop chers, la société française dans son ensemble doit définir plus précisément ce que l’on doit retarder ou sacrifier et l’assumer de façon transparente. Mais c’est là que l’on entre dans le dur : quels sont les maladies que l’on ne va plus traiter comme on le pourrait ? Faut-il, comme cela a été fait en Grande-Bretagne, arrêter de réanimer certains malades selon un algorithme calculé en fonction du budget ? Faut-il retarder l’accès au marché de médicaments trop coûteux mais qui sauvent des vies…
Ce sont des questions un peu excessives mais qui ne sont pas si loin de la réalité (on ne rembourse déjà pas certains traitements antidiabétiques ou certains anticancéreux qui réduisent la mortalité parce qu’ils sont trop chers). Il n’est pas logique de ne pas tout remettre à plat en fonction des priorités qui auront été discutées et acceptées en conscience par la Nation. Le débat national sur la santé aurait été pertinent puisque c'est un des premiers postes budgétaires. Mais je pense qu'il va s'inviter dans la discussion.