Depuis 2013, année où Nicolas Maduro est devenu président par intérim suite à la mort d’Hugo Chavez, le Venezuela est plongé dans la plus grave crise politique, économique et humanitaire de son histoire.
Alors que la semaine dernière, le président du Parlement Juan Guaido s’est autoproclamé "président par intérim" et a reçu le soutien des États-Unis et de la France, une nouvelle étude publiée dans The Lancet Global Health révèle l’étendue de la crise humanitaire qui frappe le pays et dont les enfants figurent parmi les premières victimes. Selon son auteure principale Jenny Garcia, les taux de mortalité infantile sont passés de 15 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2008 à 21,1 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2016. "Cette augmentation représente un énorme recul par rapport aux réalisations antérieures en matière de réduction de la mortalité infantile", écrit-elle.
Des taux de mortalité supérieurs à ceux des années 1990
Ces résultats sont en effet inquiétants et témoignent de la grave difficulté pour le Venezuela, non seulement d’améliorer les taux de mortalité infantile, mais aussi de maintenir ceux que le pays s’était efforcé d’atteindre depuis le milieu des années 1980. Le Venezuela est maintenant le seul pays d’Amérique du Sud à avoir régressé pour atteindre des niveaux de mortalité infantile supérieurs à ceux réalisés dans les années 1990. "Nous avons perdu 18 ans de progrès", a constaté Jenny Garcia dans un entretien accordé au Washington Post.
Le travail de cette dernière a été compliqué à réaliser. En effet, plus aucune statistique officielle sur la mortalité dans le pays n’a été publiée depuis 2013. "Il a été difficile d’évaluer précisément l’effet de ces événements récents. Nous avons donc cherché à estimer les tendances du taux de mortalité infantile et à rendre compte de l’effet de la crise", écrit Jenny Garcia, doctorante à Institut national d'études démographiques (INED) de l’Université Paris 1-Panthéon.
La chercheuse et ses collègues ont donc estimé les taux de mortalité infantile à l’aide de méthodes indirectes : compte-rendu des décès tenu par le ministère de la Santé vénézuélien au moyen d’annuaires et de bulletins de maladie, registres des naissances publiés par la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique Latine et les Caraïbes et par l’Institut national des statistiques du Venezuela. Des méthodes indirectes comme les données du recensement et une enquête ENCOVI sur les conditions de vie réalisée en 2016 ont été aussi utilisées. "L’objectif principal était d’estimer les tendances des taux de mortalité infantile de 1985 à 2016", écrivent les auteurs de l’étude.
Une coupe des financements des soins de santé
Les chiffres mis en lumière par l’étude montrent que les taux de mortalité infantile ont commencé à cesser de baisser à partir de 2009, puis à augmenter à partir de 2011. En 2016, le taux de mortalité infantile (21,1 décès pour 1 000 naissances vivantes) était revenu au niveau observé à la fin des années 1990, et était 1,4 fois supérieur à celui enregistré en 2008.
Comment l’expliquer ? Pour les chercheurs, cette hausse de la mortalité infantile est liée à la résurgence de maladies qu’à une aggravation de la crise sanitaire due à la famine et à la pénurie de médicaments. Le paludisme, notamment fait des ravages parmi la population, passant à 7 cas pour 1 000 habitants en 2016 à 10 cas pour 1 000 au cours de l’année 2017.
De même, les cas de rougeole ont triplé depuis 2013. 727 cas ont été signalés en 2017 et 4 605 cas ont été recensés entre janvier et août 2018, alors qu'il y en avait rarement plus de 300 par an auparavant. Parmi les cas confirmés, le groupe d’âge le plus touché est celui des enfants de moins de 5 ans. La diphtérie, une maladie éradiquée au Venezuela dans les années 1990, est réapparue : 2024 cas ont été signalés depuis 2016. Selon les auteurs de l’étude, "la pénurie de médicaments, le coût élevé des antibiotiques et le déficit en doses de rappel tétanos – diphtérie compliquent la situation".
Outre les épidémies alarmantes de paludisme, de rougeole et de diphtérie, l’étude a aussi montré une augmentation constante du nombre de cas de diarrhée (34,6%) et de bronchite aiguë (près de 40%), ainsi qu'une augmentation de la mortalité maternelle déjà élevée. En 2016, 65,8% de décès supplémentaires étaient associés à des complications lors de l'accouchement par rapport aux années précédentes. La détérioration du système de santé et un accès réduit aux programmes de soins prénatals mensuels pourraient avoir contribué à cette augmentation.
Pour Jenny Garcia, cette étude montre que "nous avons atteint un point où il n'est plus possible de continuer à nier" la crise humanitaire sans précédent que connaît actuellement le Venezuela. La chercheuse craint désormais que les données pour 2017 et 2018 ne montrent que la situation "ne fait qu’empirer".