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Débat National

Fermeture des maternités : un rationnel de sécurité mais peu de preuves scientifiques

Par le Dr Jean-Paul Marre

La fermeture drastique des maternités au cours des 40 dernières années a été justifiée par une volonté d'amélioration de la sécurité des accouchements. L’analyse des preuves scientifiques est cependant décevante pour justifier un des éléments constitutifs des déserts médicaux français.

Jovanmandic/istock

Entre 1996 et 2016, une maternité sur trois a fermé en France et le nombre des établissements dépassant 3000 accouchements par an a triplé en parallèle. L’objectif initial était de rendre les accouchements plus sûrs. Mais dans certaines régions, la fermeture d'une maternité s'est surajouté à d'autres éléments pour participer à la création d'un désert médical.

Les décrets périnatalité de 1998 ont défini trois types de maternités en fonction du niveau de spécialisation des établissements. Un établissement est dit de « type 1 » s’il possède un service d’obstétrique (principalement des cliniques privées et des petites maternités), de « type 2 » s’il a un service de néonatologie au même endroit que le service d’obstétrique et de « type 3 » s’il dispose d’un service de réanimation néonatale et d’un service de néonatologie, en plus du service d’obstétrique et au même endroit (Dress).

Un seuil fixé par décret

Un des principaux arguments employés pour justifier la fermeture des petites maternités (type 1) est une potentielle mise en danger des mères et des enfants en deçà de 300 accouchements par an.

« Ce seuil a été établi sur le principe selon lequel une activité trop faible ne permet pas aux équipes la pratique nécessaire à la sécurité des soins pour faire face à un incident au cours de l’accouchement », détaille un rapport de la Cour des comptes, tout en précisant en bas de page que ce seuil « ne paraît avoir fait l’objet d’aucune étude spécifique lors de sa fixation ».

Ce seuil minimal a donc été établi par décret en 1998 et l’analyse de la littérature révèle que s’il apparaît être logique, il ne s’appuie que sur peu de données scientifiques disponibles et aucune n’est venue établir formellement ce seuil, sauf peut-être pour les grossesses à haut risque.

Des critères surtout socio-économiques

L’argument du manque de pratique des médecins et sages-femmes en raison d'un faible taux de naissances dans une maternité ne prend pas en compte les modes d'exercice. C'est en particulier le cas depuis la mise en place des Communautés hospitalières de territoire (CHT) : les médecins et les sages-femmes travaillent tous dans d’autres établissements de la région, puisque les CHT visent à mutualiser les moyens logistiques et humains entre les différents établissements publics. Ils sont donc aguerris à l'accouchement puisqu'ils en pratiquent dans plusieurs hôpitaux différents.

En réalité, ce sont surtout les facteurs socio-économiques qui jouent, et surtout la disponibilité des personnels à certaines périodes de l’année (week-end). Les circonstances pouvant compliquer l’acheminement des malades (météorologie…) sont également très importants mais toujours parfaitement appréhendés. Heureusement, la qualité de la prise en charge des femmes enceintes au moment de leur accouchement dépend également de la coordination entre les grandes maternités et les petites, ainsi que de l’offre de suivi à domicile après la sortie de la maternité (l’accompagnement par les sages-femmes).

La cause réelle des fermetures est aussi économique

Le rapport de la Cour des Comptes de 2014-2015 pointe « le sous-financement structurel des maternités, qui ne peuvent trouver un équilibre qu'à partir de 1100 à 1200 accouchements par an, en raison d'une déconnexion ancienne entre les tarifs et des coûts réels ». « Malgré une évolution tendant à développer un tarif spécifique lié à la prise en charge du nouveau-né, il est permis de s'interroger sur l'adaptation de la tarification à l'activité (T2A) à ces établissements ».

Alors que la démographie des professionnels de santé des secteurs gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, sages-femmes est plus élevée que jamais, on relève, paradoxalement, des inégalités territoriales très prononcées, que les évolutions démographiques à venir, dans ces professions, pourraient encore creuser. Si la démographie des professions médicales de santé du secteur est élevée, c'est parce que s'y concentre, plus que dans d'autres spécialités, l'apport de médecins à diplôme étranger, mais dont rien ne garantit la pérennité.

Une réorganisation majeure des soins

Les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an et ne pouvant justifier d’une exception géographique pouvaient être reconverties en centre périnatal de proximité dans les décrets de 1998. Ces centres assurent désormais des consultations pré et post-natales, des cours de préparation à la naissance, de l’enseignement des soins aux nouveau-nés et des consultations de planification familiale, mais ne réalisent plus d’accouchements.

C’est dans les maternités de type 2 ou 3 que se concentrent désormais près de 80% des naissances, or ce sont celles qui prennent en charge les grossesses pour lesquelles on anticipe des besoins de soins et les grossesses dites pathologiques. Du fait de la fermeture de beaucoup de maternités de niveau I, les naissances se concentrent désormais dans les maternités de niveaux II et III. Cette surcharge a pu être à l’origine de difficultés d'accès à ces derniers établissements pour les grossesses pathologiques (naissances gémellaires ou prématurées). D’après l’enquête de la Dress de 2016, ces difficultés sont en voie de résolution.

Une réorganisation qui porte ses fruits ?

Cette réorganisation des maternités s’est cependant accompagnée d’une incontestable amélioration de la prise en compte des besoins des femmes selon l’enquête 2016 de la Dress. La disponibilité de l’analgésie péridurale auto-contrôlée a progressé. Un programme de réhabilitation post-césarienne est présent dans 2 maternités sur 3 et l’accompagnement par une sage-femme à la sortie de la maternité s’est généralisé.

Les attributions des sages-femmes se sont, de plus, élargies : elles réalisent 87% des accouchements par voie basse (sans recours un une instrumentalisation type forceps) en 2016 selon l’enquête de la Drees. Elles sont très impliquées dans le suivi pré- et post-natal et peuvent réaliser des consultations.

Cet article, fruit de quelques interviews et de l’analyse de la littérature sur le sujet, vise à exposer les données actuellement disponibles et fait partie d’une série de 3 articles pour documenter le Grand Débat National