La conviction largement répandue chez les psychiatres et les cliniciens selon laquelle il serait possible de prédire avec précision un suicide en évaluant le risque à partir des pensées suicidaires d'un patient serait fausse, selon une étude australienne et iconoclaste parue dans BJPsych Open.
L'examen des données de 70 grandes études sur la valeur pronostique des idées suicidaires montre que, seulement 1,7% des personnes ayant eu des idées suicidaires se sont effectivement suicidées. A l’inverse, environ 60% des personnes décédées par suicide avaient nié auparavant avoir des pensées suicidaires lors de la demande spécifique d'un psychiatre ou d'un médecin généraliste.
Un mauvais marqueur
Les médecins s'appuient parfois sur ce qu’ils appellent les « idéations suicidaires » (avoir des idées suicidaires, voire planifier son suicide) comme un test crucial pour le risque à court terme de suicide, et il a été proposé que cela puisse faire partie d'un test de dépistage du suicide.
La méta-analyse montre que 80% des patients qui ne suivaient pas de traitement psychiatrique et qui s'étaient suicidés déclaraient ne pas avoir de pensées suicidaires lors de la demande préalable d'un généraliste.
Certaines personnes vont, en effet, essayer de cacher leurs idées suicidaires à leur médecin, soit par honte, soit parce qu'elles ne veulent pas être empêchées de se suicider. De plus, les sentiments suicidaires peuvent fluctuer rapidement et les gens peuvent se suicider de manière impulsive après seulement une courte période d’idéations suicidaires (« passage à l’acte »).
Un nécessaire changement des pratiques
« Nous savons que les idées suicidaires sont assez courantes et que le suicide est en fait un événement rare, même chez les personnes souffrant de maladie mentale grave », a déclaré le professeur Matthew Large, de l'école de psychiatrie de l'UNSW et qui travaille également au service des urgences d'un hôpital de Sydney. « Cette étude montre que les psychiatres et les médecins généralistes ne peuvent pas baser la détection du risque de suicide sur la seule recherche des idéations suicidaires et ils ne devraient pas se sentir rassurer en leur absence ».
Selon le professeur Large, le message principal est que les cliniciens devraient accorder moins d’importance aux idéations suicidaires que ce n’était le cas auparavant et devraient « essayer de mieux comprendre la détresse du patient et ne pas le faire attendre des semaines avant de le traiter ou de refuser le traitement en l'absence de pensées suicidaires ».
Un autre message important de cette étude selon le professeur Large est pour les proches d’un suicidé : « Même s'ils était conscients que leur parent était suicidaire, le risque de décès était faible. A l’inverse, ce n’est pas de leur faute s'ils ne se sont pas aperçus qu’il était suicidaire ».