« Mon prochain rendez-vous chez l’oncologue, c’est bien le seul que je n’ai pas besoin de noter dans mon agenda pour ne pas l’oublier », raconte Danièle comme une boutade. Opérée d’un cancer du sein il y a 2 ans, l’angoisse de la récidive fait désormais partie de son quotidien. « J’ai appris à vivre avec l’anxiété, à l’oublier même par moment mais l’approche du bilan la fait remonter. C’est très ambivalent, j’envisage la possibilité qu’on m’annonce une récidive mais en même temps, j’ai quand même pris un billet pour partir en vacances le lendemain du rendez-vous », confie cette quinquagénaire.
Même si chaque individu traverse l’épreuve à sa façon, l’anxiété est un symptôme très partagé par les personnes ayant survécu à un cancer. Selon une étude britannique publiée aujourd’hui dans la revue de cancérologie Lancet Oncology, deux ans après le diagnostic, le niveau d’anxiété e ces ex-malades est supérieur de 27% à celui de la population générale et de 50% au bout de dix ans. Et leurs conjoints sont encore plus nombreux à souffrir d’anxiété, ils sont 40% contre 28% parmi les survivants de cancers eux-mêmes. En revanche, au delà de 2 ans après le cancer, il n’y a plus de différence entre les proportions de personnes dépressives parmi les ex-malades, leurs conjoints et la population générale. « Au moment de l’arrêt des traitements, les patients traversent souvent une phase dépressive, comme un contre-coup, qui s’estompe lorsque ils parviennent à reprendre le cours de leur vie », explique Nicole Landry-Dattée, psychologue et psychanalyste au sein de l’unité de psycho-oncologie de l’Institut de cancérologie Gustave Roussy à Villejuif.
En revanche, la menace de récidive restant en suspens, les signes d’anxiété s’estompent beaucoup moins. Mais comment expliquer que les conjoints soient encore plus anxieux que les personnes qui vivent avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête ? L’épreuve de la maladie confronte chacun des membres du couple et de la famille plus largement à deux angoisses : l’angoisse de mort et l’angoisse de séparation. Mais pour celui qui n’est pas malade s’ajoute un sentiment d’impuissance qui peut décupler les angoisses, notamment chez les personnes déjà de nature anxieuse ou celles ayant une histoire familiale douloureuse avec le cancer.
Ecoutez Nicole Landry-Dattée, psychologue dans l’unité de psycho-oncologie de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif : « Pendant que l’autre se battait contre la maladie, le conjoint n’a rien pu faire pour l’aider. C’est ce sentiment d’impuissance qui perdure. »
La psycho-oncologie, autrement dit le soutien psychologique apporté aux malades du cancer et à leurs proches, est de plus en plus présente dans les services de cancérologie français, notamment pour aider les enfants des parents atteints de cancer. Mais les équipes peuvent rarement couvrir tous les besoins et doivent concentrer leur prise en charge sur les patients plutôt que sur leurs proches et sur les plus en difficultés. Ce sont donc plutôt les médecins traitants et les associations comme la Ligue contre le cancer qui sont en mesure d’apporter le soutien nécessaire aux familles, par téléphone, à domicile ou via des réunions de groupes de proches par exemple.
Ecoutez Agnès Lecas, déléguée aux actions pour les malades à la Ligue contre le cancer : « Il y a encore beaucoup à faire, les proches sont vraiment en demande d’une aide psychologique. »
« Considérer les proches comme étant également des victimes du cancer en leur proposant des aides adaptées notamment un accompagnement psychologique et des aménagements du temps de travail ». C’est l’une des recommandations remises fin mai par la Ligue contre le cancer au Pr Jean-Paul Vernant, hématologue à la Pitié-Salpêtrière à Paris, que François Hollande a chargé d’un rapport préparatoire au Plan cancer III, prévu pour 2014.
Les auteurs de la publication britannique misent quant à eux sur la force des chiffres pour convaincre de la nécessité d’accompagner les proches des survivants de cancer. A l’horizon 2030, on diagnostiquera 21 millions de cancer par an dans le monde et 70% de ces personnes survivront au moins 5 ans. Ce qui pronostique donc plusieurs dizaines de millions de conjoints rongés par l’angoisse.