"Un feed = un repas complet". Diffusées massivement sur les réseaux sociaux et à la télévision, de nombreuses publicités ventent actuellement les produits alimentaires de la marque Feed. Vendus sous forme de bouteilles à boire et de barres, ces articles, sucrés ou salés, sont censés être une alternative "saine" et "équilibrée" à un véritable déjeuner ou dîner qu’on aurait pas eu le temps de préparer, de commander ou d’acheter.
"Le cerveau va comprendre qu’on est en train de boire"
Mais du côté des nutritionnistes, le jugement est sans appel : "non, ce n’est pas un repas complet", s’indigne à propos des bouteilles à boire Patrick Serog, auteur de Créer vous-même votre régime (éditions Flammarion). "Un repas complet implique d’ingérer environ 800 grammes de matière alimentaire, pour que le cerveau comprenne que l’on est en train de s’alimenter. Si on ingère des aliments sous forme liquide, même si on a mathématiquement les mêmes apports nutritionnels qu’avec une nourriture solide, le cerveau va comprendre qu’on est en train de boire. De ce fait, la sensation de satiété ne va pas durer assez pour tenir jusqu’au soir, voire même jusqu’au goûter", explique l’expert en nutrition.
Dans la même logique, ajouter des vitamines et des minéraux à un mélange liquide ne permettra pas à l’organisme de les assimiler aussi bien que lorsqu’ils sont ingérés via des aliments solides. Si on ajoute à cela des expériences gustatives désastreuses, mieux vaut donc bien mieux prendre le temps d’aller s’acheter un jambon-beurre et un fruit ou d’attendre sa commande de sushis.
"J’avais l’impression de boire du plâtre"
"J’ai trouvé ça ni bon, ni mauvais, mais j’ai eu beaucoup de mal à finir la bouteille, j’avais l’impression de boire du plâtre", témoigne Jules*, directeur général d’une entreprise de presse, qui a testé la version fruits rouges (à 3,90 euros et 7,90 euros pour la version bio). "Ensuite j’ai eu la nausée, et à 17 heures, je mourrais de faim. En rentrant, j’ai diné le double de ce que je mange d’habitude", poursuit-il.
Même son de cloche chez Thomas, rédacteur en chef d’un site d’information, qui a testé pour nous la saveur cèpes : "moi j’ai tenu jusqu’au soir sans problème, par contre je n’ai pas réussi à finir la bouteille. Le goût était épouvantable, tout comme la matière liquide. Cela m’a donné envie de vomir tout l’après-midi".
"Trois heures après, j’avais trop faim"
Restent les barres sucrées, dont les parfums chocolat, fruits rouges, pommes cranberries et citron amarante sont consommés avec ravissement par les jeunes joggeurs des spots publicitaires. Mais là encore, avec un apport compris entre 366 et 403 calories, on est bien loin du repas complet apportant une sensation de satiété durable, même si elles ont le net avantage de pouvoir être mâchées.
"Un repas, c’est 800 calories. Donc c’est aussi une publicité mensongère", tacle encore Patrick Serog, corroborant le témoignage d’Emilie. "J’ai testé les barres fruits rouges et noix de coco/chocolat (3,50 euros l'unité), et honnêtement, c’est trop bon. Par contre, ça m’a fait super bizarre de ne manger que du sucré un midi, et j’avais fini la première en deux minutes. Trois heures après, j’avais trop faim, j’en ai mangé une autre. Puis le soir, j’ai avalé deux assiettes de pâtes carbonara au lieu d’une", raconte cette cadre.
"La porte ouverte à l’apparition de troubles alimentaires"
En conclusion, consommer cette gamme de produits de manière tout à fait exceptionnelle ne sera pas dangereux pour la santé, et sera préférable à la suppression d’un repas. Mais pas toutes les semaines, encore moins tous les jours et surtout pas dans le cadre d’une pratique sportive, qui nécessite des apports en sucre lent.
"Boire une bouteille une fois dans le mois, ce n’est pas grave, car au niveau de la composition, l’équilibre est respecté", analyse Arnaud Cocaul, nutritionniste, auteur du guide Le régime mastication (Thierry Souccar Editions). "Mais quelqu’un qui fait ça toutes les semaines ou tous les jours, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans son mode de vie. Ce genre de produit se consomme seul, donc accompagné de distractions (musique, écran, transport, etc…). C’est la négation de l’alimentation en pleine conscience, nécessaire à la satiété, et donc la porte ouverte à l’apparition de troubles alimentaires, comme l’obsession du poids ou l’orthorexie", conclut le spécialiste.
Le site de la marque, qui n'accepte les commandes qu'à partir de 70 euros d'achats, pousse pourtant dans cette direction, se dédouanant de toute responsabilité sanitaire. "La composition nutritionnelle de chaque produit étant clairement exposée sur le site, sur chaque commande ainsi que sur les produits, le vendeur ne pourra être tenu pour responsable des éventuelles intolérances ou allergies de l’acheteur", peut-on lire dans les conditions générales de vente.
*Les prénoms de cet article ont été modifiés.