Le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm), a annoncé ce lundi que le baclofène bénéficierait avant la fin de l’été d’une recommandation temporaire d’utilisation comme médicament contre la dépendance à l’alcool. Mais si ce décontractant musculaire suscite d’immenses espoirs dans la lutte contre l’alcoolisme, beaucoup de questions restent encore sans réponse.
2008, naissance d’un phénomène
C’est la parution du livre d’Olivier Ameisen, intitulé Le dernier verre, qui révèle le baclofène au grand public en octobre 2008. Ce cardiologue y raconte sa propre guérison de l’alcoolisme grâce à de très fortes doses d’un médicament utilisé pour soulager les spasmes musculaires dont peuvent souffrir les paraplégiques ou les victimes de la sclérose en plaques.
Grâce au baclofène, le médecin n’a plus de compulsions irrépressibles le poussant à boire et il peut sans difficulté s’accorder quelques verres occasionnellement sans replonger dans la dépendance.
En quelques semaines, les alcoologues sont débordés d’appels, des forums sont créés sur internet, les proches ou les malades eux-mêmes veulent savoir comment se faire prescrire ce comprimé aux résultats miraculeux. A l’époque, le baclofène ne dispose que d’une autorisation de mise sur le marché en tant que décontractant musculaire. Quelques rares prescripteurs, addictologues ou médecins généralistes que les malades font des kilomètres pour consulter, commencent à prescrire le médicament hors AMM et à convaincre leurs confrères. En 2012, l’Assurance maladie a recensé 10 000 médecins généralistes auteurs d’au moins une prescription de baclofène à un patient alcoolodépendant. Au total, 40 à 50 000 Français utilisent aujourd’hui ce traitement.
Un décontractant musculaire pour en finir avec l’alcool
Le baclofène agit dans le cerveau au niveau du système de récompense. Lors d’une expérience agréable, ce réseau de neurones libère de grandes quantités de l’hormone de la récompense, la dopamine, qui maintient le besoin de renouveler cette expérience agréable. On sait que toutes les drogues qui créent une dépendance élèvent artificiellement la quantité de dopamine dans le circuit de la récompense. Les médicaments utilisés contre les addictions tentent donc de réduire la libération de dopamine en agissant sur les différents récepteurs qui assurent la communication entre les neurones. Dans le cas du baclofène, il s’agit des récepteurs dit GABA-B.
Ecoutez le Pr Philippe Jaury, médecin généraliste à Paris et coordinateur d’une étude sur le baclofène : « On sait qu’il agit sur les récepteurs GABA-B mais comment ? Nous n’en sommes encore qu’aux hypothèses. »
Malheureusement, le baclofène ne marche pas à tous les coups, sans que l’on comprenne très bien pourquoi et surtout pour qui. « Ce n’est pas un médicament miracle. Un tiers des patients traités n’obtient pas les résultats espérés », ont martelé les spécialistes réunis lundi à Paris en colloque sur la place du baclofène dans la lutte contre l’alcoolisme.
Il semble que les meilleurs résultats soient obtenus chez les malades souffrant de très fortes envies compulsives, ce que les addictologues appellent le craving. Ils observent également que plus la consommation d’alcool du malade était élevée avant le traitement plus la dose de baclofène nécessaire est importante. Un tiers des personnes sous baclofène en consomment aujourd’hui plus de 180 mg par jour, soit plus de 18 comprimés. C’est le cas de Mina, qui a trouvé une technique pour avaler ses 37 comprimés quotidiens.
Ecoutez Mina, sous traitement par baclofène depuis 2009 : « Mes 37 comprimés, je les dissous dans l’eau chaude, et je les bois au cours de la journée. »
Deux études en cours en France
Pour simplifier la prise de baclofène, il faudrait qu’un industriel du médicament mette au point un comprimé beaucoup plus dosé que les 10 mg actuels. C’est ce qui devrait déboucher de l’étude Alpadir, menée actuellement par l’addictologue Michel Reynaud et le laboratoire français Ethypharm. Ses résultats attendus pour fin 2014 devront déterminer l’efficacité du baclofène à 180 mg/jour et permettre de déposer auprès de l’Ansm une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau dosage de baclofène, plus adapté au traitement de l’alcoolodépendance.
Un autre essai clinique, baptisé Bacloville, est également en cours pour démontrer l’efficacité des fortes doses de baclofène (jusqu’à 300 mg/jour) et évaluer quels sont les effets secondaires du médicament au bout d’un an de traitement. Il semble que l’effet secondaire le plus fréquent, déjà décrit par Olivier Ameisen, soit la somnolence, qui touche un patient traité sur deux.
Ecoutez le Pr Philippe Jaury : « Somnolence, vertige, voire crise d’épilepsie en cas d’arrêt brutal du baclofène, les effets secondaires n’ont rien à voir avec ceux de l’alcool. »
Les résultats de ces deux études sont attendus pour le 2e semestre 2014. « Mais il y a urgence. Les pouvoirs publics ne peuvent plus se permettre d’attendre face à une telle menace vitale et sociale », insiste le Pr Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique, récemment à l’origine de la pétition Alcool, plus de 100 morts par jour, ça suffit !
2013, le baclofène sort de la clandestinité
« Une innovation telle que le baclofène ne peut être ignorée », a assuré lundi le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’ANSM. Une recommandation temporaire d’utilisation devrait donc être accordée début juillet à ce médicament. Ce nouveau dispositif réglementaire permet aux agences sanitaires d’encadrer la prescription hors AMM de baclofène tout en surveillant son éventuelle toxicité. Autre avantage, le baclofène deviendra alors officiellement accessible au remboursement par la sécurité sociale. « Mais attention, a prévenu le directeur général de l'ANSM, pas de fuite vers le médicament. Le baclofène ne dispense pas de la prise en charge médico-psychosociale de l'alcoolisme.»