"La prévention des risques liés aux antalgiques opioïdes est une préoccupation majeure des autorités de santé", concède l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans un récent rapport. Alors que l'émission Envoyé Spécial a levé le voile mercredi 21 février sur la plus grande crise sanitaire jamais survenue aux Etats-Unis, l'Agence du médicament abat ses cartes et anticipe les interrogations des téléspectateurs français sur la consommation des antalgiques opioïdes en France.
Près de 200 décès liés à une overdose d'opioïdes sont en effet recensés chaque jours aux Etats-Unis. Les images d'Envoyé Spécial illustre l'étendue du scandale en montrant des personnes ordinaires, de tous âges (y compris les enfants) et classes sociales, devenues accros à ces antidouleurs qui leur avaient été prescrits et capables de s'endetter, de se fournir au marché noir, de tomber dans l'héroïne, voire pire, de s'écrouler en pleine rue, dans un supermarché ou au volant, terrassées par une overdose. Qu'en est-il en France ? Selon l’assurance maladie, près de 10 millions de Français ont eu une prescription d’antalgique opioïde en 2015.
Les Français et les opioïdes
"L’ANSM observe une augmentation du mésusage, ainsi que des intoxications et des décès liés à l’utilisation des antalgiques opioïdes, qu’ils soient faibles ou forts. Cependant, la situation n’est pas comparable avec celle observée aux Etats-Unis et au Canada", indique le rapport. "En 2017, l’antalgique opioïde le plus consommé en France était le tramadol puis la codéine en association et la poudre d’opium associée au paracétamol. Viennent ensuite la morphine, premier antalgique opioïde fort, l’oxycodone, à présent pratiquement autant consommé que la morphine, puis le fentanyl transdermique et transmuqueux à action rapide".
Entre 2006 et 2017, la prescription d’opioïdes forts a augmenté d’environ 150% (l’oxycodone marque l’augmentation la plus importante). "Les opioïdes ont un intérêt majeur et incontestable dans la prise en charge de la douleur et restent moins consommés que les antalgiques non-opioïdes (paracétamol, aspirine, AINS)", assure l'Agence du médicament, concédant tout de même que "la consommation des antalgiques opioïdes peut s’accompagner de complications graves". Notamment chez les patients consommant ces opioïdes pour soulager une douleur, qui sont parfois amenés à développer une dépendance et à contourner les indications d'usage initiales.
Au moins 4 décès par semaine
Résultat : "le nombre d’hospitalisations liées à la consommation d’antalgiques opioïdes obtenus sur prescription médicale a augmenté de 167 % entre 2000 et 2017 passant de 15 à 40 hospitalisations pour un million d’habitants. Le nombre de décès liés à la consommation d’opioïdes a augmenté de 146 %, entre 2000 et 2015, avec au moins 4 décès par semaine".
"Aujourd’hui, il y a plus d’overdoses chez les patients avec des douleurs chroniques que chez les consommateurs de drogue", s’alarmait dans Le Parisien Nicolas Authier, président de l’Observatoire français des médicaments antalgiques. N’importe qui peut sombrer. "Ce n’est pas une problématique spécifique des usagers de drogue. On parle ici de femmes (60 %) et d’hommes de 40, 50, 60 ans, sans antécédents de prise de drogue. Confrontés à la douleur chronique, avec pour certains des comorbidités psychiatriques, pour d’autres des problèmes familiaux ou au boulot, ils se retrouvent entraînés dans la spirale irréversible de l’addiction".