En 2015 dans le monde, près de la moitié des enfants touchés par un cancer n’ont pas été diagnostiqués, et n’ont donc pas reçu de traitement adapté. C’est l’alarmant constat émis par une nouvelle étude américaine publiée dans The Lancet Oncology.
Selon son principal auteur, le Pr Zachary Ward, de l’École de santé publique Harvard TH Chan, dans le Massachussetts, les statistiques suggèrent jusqu’à 397 000 nouveaux cas de cancer chez l’enfant chaque année. Or, les registres nationaux n’en dénombrent que 224 000. 45%, soit 172 000 cas de cancers infantiles échapperaient donc à tout diagnostic.
60% des pays ne disposent pas de registres des cancers
"Notre modèle suggère que près d'un enfant sur deux atteint d'un cancer n'est jamais diagnostiqué et peut mourir sans traitement", explique le Pr Ward. "Des estimations précises de l'incidence des cancers infantiles sont essentielles pour aider les décideurs à établir les priorités en matière de soins de santé et à planifier un diagnostic et un traitement efficaces pour tous les enfants atteints de cancer. Bien que le sous-diagnostic ait été reconnu comme un problème, ce modèle fournit des estimations spécifiques qui ont fait défaut."
En effet jusqu’à présent, les estimations antérieures de l’incidence totale des cancers de l’enfant dans le monde étaient fondées sur les données des registres des cancers. Or, 60% des pays ne disposent pas de tels registres et ceux qui existent ne couvrent qu’une petite fraction de la population mondiale. De fait, de nombreux patients ne sont jamais enregistrés et ne sont pas comptabilisés. Pour les auteurs, cela peut être dû à un manque d’accès aux soins, au fait que les patients meurent sans avoir été diagnostiqués ou suite à un mauvais diagnostic.
Le nouveau modèle statistique mis au point par les auteurs de l’étude combine les données de l’Observatoire mondial de la santé de l’OMS, des enquêtes démographiques et sanitaires, ainsi que des enquêtes sur les ménages développées par l’Unicef. Le modèle a été calibré en fonction des données des registres publics et ajusté pour tenir compte du sous-diagnostic dû aux faiblesses des systèmes de santé nationaux.
L'Asie et l'Afrique en première ligne
En estimant le sous-diagnostic pour chacun des 200 pays analysés, les auteurs ont constaté de fortes disparités régionales. Alors que seulement 3% des cas de cancer chez l'enfant en Europe occidentale et en Amérique du Nord n’auraient pas été diagnostiqués en 2015, cette proportion est passée à environ 49% en Asie du Sud et à 57% en Afrique de l'Ouest.
"Cela signifie que beaucoup de ces enfants meurent malheureusement sans traitement à la maison", analyse Zachary Ward. "La survie au cancer, même parmi les cas diagnostiqués, est déjà médiocre dans ces pays, mais elle sera essentiellement de 0% pour les enfants s'ils ne sont pas identifiés."
Dans ces pays en développement, nombreux sont les enfants à rencontrer des difficultés à accéder aux soins de santé. Et lorsqu’ils sont examinés par des médecins, il n’est pas rare que leurs symptômes soient confondus avec d’autres pathologies comme la tuberculose ou le paludisme.
D’où la nécessité, insistent les auteurs, de renforcer les systèmes de santé et les réseaux de prestation de soins de santé de ces pays pour réduire le nombre d’enfants atteints de cancer non-diagnostiqués. "Les systèmes de santé des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ne répondent manifestement pas aux besoins des enfants atteints de cancer. La couverture universelle en matière de santé, une cible des Objectifs de développement durable des Nations Unies, doit inclure le cancer chez les enfants comme une priorité pour prévenir les décès inutiles", explique le professeur Rifat Atun, co-auteur de l’étude.
3 millions de cas non-diagnostiqués d'ici 2030
Avec ses collègues, il estime que près de 92% des nouveaux cas de cancer chez les enfants surviennent dans ces pays, avec un taux particulièrement élevé dans les pays d’Afrique occidentale. Et si rien n’est fait au niveau mondial, cela ne risque pas de s’améliorer. Les auteurs estiment en effet à environ 6,7 millions de cas de cancer chez les enfants dans le monde entre 2015 et 2030, mais que seuls 2,9 millions seront diagnostiqués.
Mais le Pr Ward se veut optimiste. "La bonne nouvelle est que l'extension de la couverture maladie universelle, à laquelle de nombreux pays se sont déjà engagés, aidera les enfants à accéder au système de santé", explique l’expert, qui plaide aussi pour l’investissement des pays dans la tenue systématique de registres des cancers afin de mieux suivre les progrès accomplis.