À l’hôpital, parmi les patients des services des urgences ou en réanimation, nombreux sont ceux qui, incapables de respirer par eux-mêmes, sont appareillés à une ventilation mécanique (VM). Appelée ventilateur, cette machine supplée ou assiste la respiration spontanée.
La ventilation mécanique, indispensable mais parfois dangereuse
Mais bien que cette ventilation mécanique sauve des vies, elle cause aussi des dommages parfois irréversibles au niveau des poumons. Elle peut aussi occasionner des infections et d’autres problèmes de santé. Les médecins s’accordent donc à retirer le ventilateur dès que cela est médicalement possible. Pour cela, ils utilisent un test respiratoire spontané au cours duquel le patient respire sans l'aide du respirateur ou avec peu ou pas d'aide pour évaluer l'état de préparation du patient à respirer de sa propre initiative.
Or, il est parfois difficile pour les médecins de savoir exactement quand retirer la ventilation mécanique. C’est ce que constate une nouvelle étude publiée dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine. "Une séparation réussie de la ventilation mécanique nécessite une réponse adéquate de la part d'un certain nombre de paramètres physiologiques, qui pourraient tous être altérés par le manque de sommeil", explique le Dr Laurent Brochard, principal auteur de l’étude et directeur de la division de médecine des soins critiques à l’Université de Toronto.
De précédents travaux universitaires ont déjà montré que les patients appareillés à une ventilation mécanique présentaient souvent de graves problèmes sommeil. "Les patients sous ventilation mécanique dans les unités de soins intensifs souffrent souvent d'une grave privation de sommeil et, par conséquent, présentent des schémas anormaux de sommeil ou d'éveil, ce qui explique en partie le développement fréquent du délire", analyse le Dr Brochard.
Une nouvelle évaluation des cycles de sommeil
Avec son équipe, il s’est donc demandé si l’évaluation des périodes de sommeil et d’éveil dans les heures précédant une tentative de séparation du respirateur pouvait ou non prédire le succès du processus. Pour le savoir, ils ont procédé à une étude du sommeil (ou polysomnographie) de 37 patients de trois hôpitaux de la région de Toronto en se référant à un index du sommeil qu’ils ont eux-mêmes mis au point : il permet de mesurer les cycles de sommeil et d’éveil avec un score allant de 0 (pour sommeil très profond) à 2,5 (pour veille complète).
Les 37 patients sélectionnés devaient subir un test respiratoire spontané (ou TAS) et une polysomnographie pendant 15 heures avant le test. Le TAS a réussi chez 19 patients. Chez 11 d'entre eux, le tube respiratoire a été retiré ; chez les 8 autres patients, le tube respiratoire n'a pas été retiré parce que, malgré un TAS réussi, d'autres facteurs cliniques ont indiqué qu'ils n'étaient pas prêts pour une extubation. Chez 18 patients, le TAS a échoué.
Ces résultats ont montré que des durées plus longues d'éveil complet, avec un score de 2,2 ou plus, étaient fortement corrélées avec TAS et une extubation réussie. Les chercheurs ont aussi découvert qu’une mauvaise corrélation entre la profondeur du sommeil dans l'hémisphère droit et dans l'hémisphère gauche du cerveau prédisait fortement l'échec du test respiratoire spontané.
Vers une meilleure prise en charge des patients sous respiration artificielle
Ces résultats sont encourageants. Car s’ils montrent qu’une analyse de sommeil classique ne prédit pas le succès d’un TAS, la nouvelle évaluation mise au point par les chercheurs semblent combler ce manque. En effet, celle-ci prend notamment en compte l’activité cérébrale particulière des deux hémisphères du cerveau chez les patients ayant besoin d’une assistance respiratoire et souffrant d’une privation de sommeil. Bien qu’ils aient parfois l’air "cliniquement éveillés", ça n’est pas toujours le cas. Ce que cette évaluation permet de constater.
Des questions restent toutefois en suspens : quelle est la cause exacte de la dissociation observée entre les deux hémisphères chez ces patients ? S'agit-il principalement de privation de sommeil ? Ou y a-t-il une influence des sédatifs administrés dans les premiers jours, ou de certaines conditions médicales ? Comment et à quelle vitesse peut-on l'inverser ? Pour le Dr Brochard, les réponses à ces questions entraîneront certainement des changements dans la façon dont les patients sous ventilation mécanique sont pris en charge à l’unité des soins intensifs.