Pesant jusqu’à 10% de notre poids et mesurant 2m², la peau est de loin l’organe le plus lourd et le plus grand de notre corps. Servant d’enveloppe protectrice à notre organisme, la peau nous permet aussi de détecter le chaud et le froid, nous aide à réguler notre température interne, mais aussi à respirer et à ressentir.
Pourtant, malgré l’importance de ces fonctions, les scientifiques n’avaient jamais jusqu’ici envisagé la peau comme un organe capable de nous protéger de l’apparition des maladies chroniques.
C’est désormais chose faite avec cette étude pilote menée par des chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF). Publiés dans le Journal de l'Académie européenne de dermatologie et de vénéréologie, ces nouveaux travaux sont les premiers à étudier le rôle de la peau dans l’apparition d’affections chroniques liées à l’âge, notamment le diabète de type 2, l'athérosclérose, la maladie d'Alzheimer et l'ostéoporose.
Plus la peau vieillit, plus elle est perméable aux agents pathogènes
À mesure que nous vieillissons, les niveaux d’inflammation augmentent dans notre corps. En cause : des molécules appelées cytokines. Sécrétées notamment par les lymphocytes B, elles stimulent les cellules chargées du développement des défenses immunitaires, mais peuvent aussi contribuer au développement de maladies auto-immunes ou de maladies inflammatoires chroniques.
Longtemps, les scientifiques ont cru que le système immunitaire ou le foie provoquaient seuls une inflammation. Ces nouveaux travaux montrent que la peau peut aussi y jouer un rôle important. "L'inflammation doit provenir d'un organe assez gros pour qu'une inflammation très mineure puisse affecter tout le corps. La peau est un bon candidat pour ça à cause de sa taille", explique le Dr Mao-Qiang Man, auteur principal de l’étude et chercheur au Département de dermatologie de l’UCSF.
"Une fois que nous vieillissons, nous avons des symptômes dermatologiques comme des démangeaisons, de la sécheresse et des changements dans le PH de la peau. Il se pourrait que la peau ait une inflammation très mineure, et parce que c'est un organe si grand, il élève les niveaux de cytokines en circulation", poursuit-il.
En effet, avec l’âge, il n’est pas rare que la peau devienne sèche et donc plus perméable aux agents pathogènes : une réduction de l’humidité du derme engendre de petites fissures qui provoquent la libération de cytokines dans l’irrigation sanguine.
Chez les peaux plus jeunes, ces cytokines libérés dans le sang aident à réparer les fissures de la peau. Les peaux matures en revanche, sont plus difficiles à réparer : le corps libère donc continuellement ces messagers inflammatoires qui, une fois libérés dans le sang, peuvent voyager dans tout le corps.
"Jusqu'à tout récemment, la communauté scientifique ne croyait pas que la peau pouvait contribuer à l'inflammation et aux maladies systémiques. Mais au cours des cinq dernières années, des études sur le psoriasis et la dermatite ont montré que l'inflammation de la peau due à ces maladies augmente probablement le risque de maladie cardiaque", explique le Dr Theodora Mauro, co-auteure de l’étude. Selon elle, une "simple diminution de l’inflammation en traitant le dysfonctionnement cutané observé au cours du vieillissement pourrai avoir des effets profonds sur la santé".
Hydrater sa peau pour réduire l’inflammation
Pour valider ou non cette hypothèse, les chercheurs ont entrepris de mesurer l’impact du vieillissement cutané sur l’inflammation. Ils ont aussi cherché à déterminer s’ils pouvaient réduire les signes de l’inflammation en hydratant la peau.
L’étude pilote n’a porté que sur 33 participants âgés de 58 à 95 ans mais montre des résultats encourageants. Les chercheurs ont mesuré leurs taux de cytokines au début de l’étude puis, pendant 30 jours, les participants ont appliqué deux fois par jour un hydratant tout leur corps. Formulée spécialement pour l’expérience, cette crème contenait trois types de lipides : du cholestérol, des acides gras libres et des céramides.
Suite à cette période d’étude, les chercheurs ont mesuré des changements dans leurs niveaux de trois cytokines qui ont des liens avec les maladies inflammatoires liées au vieillissement : l'interleukine-1 bêta, l'interleukine-6 et le facteur alpha de nécrose tumorale. Ils ont constaté que les concentrations de ces trois cytokines dans le sang avaient nettement diminué suite à la période d’hydratation. D’après eux, les taux observés correspondaient à ceux de personnes ayant une trentaine d’années.
Étant donné que cette expérience a utilisé un échantillon particulièrement petit, les chercheurs devront mener de nouveaux essais plus vastes afin de tirer des conclusions fiables. Ils devront aussi démontrer qu’une réduction des cytokines dans le sang a des effets bénéfiques importants sur la santé à long terme.