Les établissements de santé sont des lieux propices au dépistage des victimes de violences conjugales. Une évidence corroborrée par une nouvelle étude canadienne, l’étude PRAISE, publiée aujourd’hui dans The Lancet. Les auteurs se sont intéressés à l’histoire de près de 3000 femmes qui se sont présentées dans une douzaine de cliniques de chirurgie orthopédique aux USA, au Canada, au Danemark, aux Pays-Bas et en Inde. Chacune de ces femmes a répondu de façon anonyme à des questionnaires très précis. Résultats : une femme sur six qui se présente dans les cliniques de chirurgie orthopédique subit des violences conjugales. Et une femme sur cinquante déclare avoir pris rendez- vous à la suite directe d’un fait de violence.
« Ce taux exceptionnellement élevé de violences conjugales dans les services de chirurgie orthopédique indique que ces établissements sont un lieu idéal pour faire du répérage et des programmes de soutien pour ces victimes, suggère l’un des auteurs principaux, le Dr Shelia Sprague de l’université de MacMaster à Hamilton (Ontario, Canada).
Cependant, si les hôpitaux et les cliniques sont des lieux qui permettent le répérage des violences intrafamiliales, ils ne sont pas toujours préparés. Ainsi, le Dr Shelia Sprague souligne un certain manque d’initiative de la part des soignants. « Pour les femmes qui sont venues directement après des blessures en lien avec des violences conjugales, explique-t-elle, dans seulement 14 % des cas, un professionnel de santé a demandé à la personne si elle n’était pas victimes d’abus au domicile. » Un constat qui n’est pas spécifique au Canada ou aux USA.
En France aussi, les professionnels de santé n’osent pas toujours entrer dans le vif du sujet. « Il y a cinq ans nous avons créé un groupe de travail au sein des urgences sur cette problématique, témoigne Fatima Le Griguer, la psychologue qui est à l’initiative du projet à l’hôpital Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois. Et au départ, il a fallu lever beaucoup de réticences. Tous les médecins ne sont pas forcément ouverts à ces problèmes et il faut reconnaître que cela ne fait pas partie de l’enseignement initial. »
Ecouter Fatima Le Griguer, psychologue et victimologue aux urgences de l’hôpital Robert Ballanger. « On a plus de facilités à sensibiliser les jeunes internes. »
Répérer les victimes de violences domestiques est un véritable enjeu. En 2012, 148 femmes et 26 hommes sont décédés, victimes de leurs compagnons ou ex-compagnons, selon les derniers chiffres de la Délégation aux victimes du ministère de l’Intérieur. « Ce chiffre est en nette hausse par rapport à 2011 », ont indiqué dans un communiqué le ministre de l’Intérieur et la ministre des Droits des Femmes.
Et pourtant pour éviter l’irréparable, une simple question peut suffire. « Lorsque je suis arrivée, il y a huit ans aux urgences, j’étais amenée à rencontrer énormément de femmes victimes de violences conjugales, explique Fatima Le Griguer. Celle qui a pris des coups ira d’abord voir un médecin, pas une association d’aide aux victimes. Mais si on ne lui pose pas la question des violences conjugales, elle ne dira rien. Beaucoup, donc passaient à la trappe ».
C’est pour cette raison, qu’un protocole d’accueil a été mis au point, des séances de formation sont organisées régulièrement pour tous les services. Et aux urgences, un cahier a été mis à la disposition des médecins et des infirmiers, qui permet de répertorier, avec leur accord, les femmes victimes de violences conjugales. « Fausse couche provoquée par la violence. », « Agressions, veut déposer plainte. », « Céphalée depuis trois jours, ne veut pas porter plainte. » Des pages et des pages se noircissent d’histoires terribles. La psychologue réceptionne tous les messages. Elle appellera chaque femme pour leur proposer un rendez-vous.
Ecouter Fatima Le Griguer. « Poser la question en termes nuancés »
La psychologue des urgences du centre hospitalier Robert-Ballanger estime qu’il faut que tous les soignants soient sensibilisés. « C’est certes plus évident aux urgences, ou dans les services de traumatologie, mais des victimes peuvent aussi être repérées dans des services de médecine interne. C’est un travail de réseau au sein d’un établissement, et aussi avec l’extérieur, les associations de victimes, les services sociaux et judiciaires compétents…" Son projet est d'ailleurs soutenu par l'Observatoire des violences envers les femmes du Conseil général de Seine-Saint-Denis, une initiative unique en France. "Il est important de ne pas travailler seul, de créer un réseau pour proposer une approche plurielle, » souligne la victimologue. Ainsi, dans son hôpital, un protocole inter-service a été signé pour proposer un lit en mater-gynécologie lorsqu’une femme n’est pas en condition de rentrer chez elle et qu’il n’y a pas de possibilité d’hébergement.
Ecouter Fatima Le Griguer.« C’est vraiment un travail d’équipe, il faut aussi que l’hôpital s’ouvre à l’extérieur ».
Au-delà de ce type d’initiatives, une Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences a été nommée en avril dernier. Elle est chargée de préparer un nouveau plan interministériel de lutte.