Chaque année dans le monde, près de 5 millions de personnes meurent d'un accident vasculaire cérébral (AVC) tandis que 15 millions sont victimes d’une attaque non fatale. Et parmi elles, 60% s’en sortent avec des troubles de la vue. Car quand une crise a lieu dans le cortex visuel primaire, qui enregistre les informations visuelles, le manque d’oxygénation sanguine endommage les neurones actifs de cette zone. Et grâce à une étude américaine parue le 27 février dans le journal Proceedings of the Royal Society B, on en sait aujourd’hui beaucoup plus sur les mécanismes à l’œuvre dans l’endommagement de la vision lors d’un AVC.
Dans cette étude, les chercheurs de l'Université de Rochester ont suivi 15 personnes soignées dans des hôpitaux américains pour des problèmes de vue suite à une attaque. Ils ont les ont soumises à des tests de vision et leur ont fait passer des scanners pour calculer leur activité cérébrale ainsi qu’un examen pour étudier leurs cellules ganglionnaires de la rétine.
Ils ont ainsi découvert que la santé et la survie de ces dernières dépendaient très fortement de l’activité dans la zone visuelle primaire associée. Par conséquent, les cellules rétiniennes connectées aux zones inactives du cerveau seraient atrophiées lors d’une attaque. L’équipe a cependant remarqué que quelques cellules rétiniennes des yeux des participants restaient en bonne santé et fonctionnelles, même après que la personne a perdu la vue dans cette partie de l’œil.
Exploiter la plasticité du cerveau pour un retour de la vue
Ainsi, ces cellules en bonne santé restent connectées à des cellules complètement actives dans le cortex visuel. Toutefois, les neurones échouent à interpréter correctement l’information visuelle qu’elles reçoivent des cellules ganglionnaires de la rétine. C’est pourquoi, le stimuli ne se traduit plus correctement, explique l’étude.
"Alors qu’une attaque pourrait avoir endommagé la transmission des informations du centre visuel du cerveau à des zones plus importantes, ces découvertes prouvent que quand le centre visuel primaire du cerveau est intact et actif, les approches cliniques qui exploitent la plasticité du cerveau peuvent conduire à un retour de la vision", note donc le Dr. Bogachan Sahin, Ph.D., professeur assistant à l’Université Rochester qui a participé à l’étude.
"Ces résultats orientent vers un traitement qui impliquerait un test de champ de la vision et un examen oculaire pour identifier la discordance entre le déficit visuel et la dégénération des cellules ganglionnaires rétiniennes", explique quant à elle l’auteur principal de cette étude, le Dr. Colleen Schneider. "Cela pourrait identifier les zones de la vue avec des connexions intactes entre le cerveau et les yeux et cette information pourrait être utilisée pour mettre au point des thérapies d’entraînement à la vue aux régions abîmées qui ont le plus de chances d’être réparées", poursuit-elle.
Recâbler correctement les connexions abîmées
"En comprenant mieux quelles connections entre les yeux et le cerveau sont encore intactes après une attaque, nous pouvons commencer à explorer plus de thérapies pour encourager la neuroplasticité avec pour objectif final de redonner plus de vision aux patients", conclut le Docteur Brad Mahon, qui a mené l’étude.
A terme, les chercheurs espèrent donc que leur découverte permettra aux spécialistes de peaufiner des approches thérapeutiques ou de développer de meilleures stratégies pour stimuler les connexions cerveau-yeux abîmées à se "recâbler" correctement.
En matière de recherches sur les troubles de la vue après un AVC, l’Université de Rochester est une institution. En 2016, ses scientifiques ont créé une nouvelle forme de rééducation cérébrale post-AVC, sous la forme d'un programme informatique de stimulation visuelle, pour les personnes atteintes de cécité dite corticale (une atteinte de la perception visuelle due à une lésion dans le cortex visuel primaire), pour stimuler et régénérer cette partie du cerveau. Ainsi, chaque patient est soumis à des projections alternant points et stries lumineux dans sa "zone aveugle". D’après l’étude parue en 2017 dans la revue Neurology, si au début les participants devinaient ce qu’ils étaient sensés voir, au fil des séances (le programme dure au moins trois mois), ils sont parvenus à voir suffisamment pour répondre correctement à 80% du test, soit le même score que les personnes ayant une vision normale. En moyenne, au terme de l’expérience, les patients avaient récupéré 108 degrés de vision.