S’agit-il d’une négligence sanitaire grave ou d’un acte malveillant intentionnel ? Pour le moment, le mystère demeure pour les familles des victimes de ce pédiatre de Ratodero, une petite ville pakistanaise située dans le district de Larkana, dans la province de Sindh, au sud du pays.
Révélée par Reuters et l’AFP et relayée par The Guardian, cette affaire fait froid dans le dos : le médecin est en effet accusé d’avoir contaminé des centaines d’enfants avec le virus du sida en utilisant de manière répétée une seringue contaminée. À ce jour, les médecins du district ont recensé plus de 500 personnes contaminées, dont au moins 437 enfants.
"60 % sont des enfants (concernés, ndlr) de moins de 5 ans", précise au Guardian Sikandar Memon, qui gère le programme anti-sida pour le compte de la province.
De graves défaillances sanitaires
Tout a commencé il y a quelques mois lorsque les parents de la petite Fatima Emaan, 16 mois, s’inquiètent de la fièvre persistante de leur fille. Son père l’emmène alors chez le Dr Muzaffar Ghangharo, pédiatre à Ratodero, qui la soigne.
Mais contre toute attente, l’état de la santé de la fillette s’aggrave. En mars, le résultat est confirmé : Fatima est touchée par le VIH. Selon son père, Syed Shah, Fatima est le premier enfant à avoir été diagnostiquée comme porteuse du virus du sida.
Depuis, des centaines de familles sont concernées. Vendredi 17 mai, elles attendaient anxieusement que leurs enfants passent un test de dépistage dans un centre d’analyses mis spécialement en place dans la ville de Wasayo. Jusqu’à 1 000 personnes par jour sont testées.
VIDEO: Hundreds of people in a village in southern Pakistan have allegedly been infected with HIV by a doctor using a contaminated syringe.
— AFP news agency (@AFP) 16 mai 2019
Health officials say more than 400 people, many of them children, have tested HIV positive in recent weeks https://t.co/HYy0bfzxWF pic.twitter.com/tu8VTldAW8
Pour le Dr Imran Akbar, le médecin qui a diagnostiqué Fatima pour la première fois, « ces cas ne sont que la pointe de l’iceberg". "Un programme de lutte contre le sida a été mis en place en 1995 dans la province de Sindh, mais les autorités n'ont donné aucune information sur cette maladie mortelle, ni au public ni aux médecins sur les mesures de sécurité à prendre. » Selon lui, la plupart des médecins n’ont pas été formés et réutilisent régulièrement les seringues.
De son côté, la police a arrêté le pédiatre et enquête actuellement pour savoir si les centaines de contaminations dont il est l’auteur ont été faites intentionnellement ou non. Lui-même séropositif, le médecin est actuellement accusé par au moins 10 familles d’avoir utilisé des seringues usagées. Emprisonné dans une cellule délabrée dans la ville de Ratodero, il nie avoir inoculé sciemment le virus aux patients. Son cas sera présenté au tribunal le 21 mai.
20 000 nouvelles contaminations chaque année
Longtemps considéré comme un pays où la prévalence du VIH était faible, le Pakistan doit faire face ces dernières années à une augmentation considérable des contaminations, notamment chez les toxicomanes et les travailleurs du sexe.
"Pour économiser de l'argent, des charlatans font des piqûres à plusieurs patients avec une seule seringue. Cela pourrait être la cause principale de la multiplication des cas", estime pour sa part Sikandar Memon.
Rien que pour l’année 2017, le Pakistan a enregistré 20 000 nouveaux cas de séropositivité, ce qui en fait le deuxième pays d’Asie ayant un rythme de propagation du VIH le plus rapide. Il s’agit d’un grave problème sanitaire dans ce pays qui manque d’infrastructures médicales et dans lequel les populations manquent d’accès aux soins et sont particulièrement vulnérables face aux pratiques médicales douteuses des médecins. "Selon certaines données gouvernementales, environ 600 000 charlatans sont actifs dans le pays et environ 270 000 pratiquent dans la province du Sindh", précise l'agence UNAIDS dans un communiqué.
De son côté, la petite Fatima est désormais hospitalisée à Karachi, la capitale de pays. Prise en charge par une équipe spécialisée dans le VIH, elle a vu son état se stabiliser. "Après avoir été admise là-bas pendant un mois, elle va mieux maintenant", rapporte son père.