Aujourd’hui, les femmes représentent plus de la moitié (54%) des 35 millions de personnes séropositives dans le monde. En France, le nombre de femmes vivant avec le VIH est estimé à 40 000. Un tiers des nouvelles infections VIH découvertes chaque année concernent les femmes, dont la majorité sont originaires d’Afrique subsaharienne, d’Amérique du Sud ou du Sud des États-Unis.
Mais, signe que les inégalités de genre persistent encore dans le domaine de la recherche médicale, les femmes sont encore largement exclues des essais cliniques portant sur de potentiels traitements, vaccins ou remèdes contre le virus du sida. Cet étonnant paradoxe est mis en lumière dans un article du New York Times publié cette semaine : comment lutter contre une maladie pandémique sans prendre en considération la spécificité de la moitié des personnes porteuses de son virus ?
Deux systèmes immunitaires spécifiques
D’après le quotidien américain, les chercheurs ont aujourd’hui davantage conscience de ce biais dans leurs essais, qui continuent cependant de dépendre encore fortement de la participation de volontaires gays. Prendre en compte ce problème est d’autant plus important que les femmes et les hommes réagissent souvent différemment à l’infection par le VIH car leurs systèmes immunitaires divergent.
"Il y a toutes sortes de différences entre les hommes et les femmes, probablement dues en partie à des effets hormonaux", explique au New York Times le Dr Monica Gandhi, professeure de médecine à l'Université de Californie, à San Francisco. Ainsi, l'hormone féminine œstrogène semble "endormir" le virus dans l’organisme. Or, un virus dormant est plus difficile à éliminer, que ce soit par le système immunitaire que par un traitement médicamenteux.
Des réactions différentes aux traitements
En 2016, une étude menée par l’amfAR (American Foundation for AIDS Research), l’une des plus importantes fondations américaines du monde pour le financement de la prévention et de la recherche médicale contre le sida, a montré que les femmes représentaient une médiane de 11 % dans les essais de guérison. Elles ne sont que 19% à participer aux essais portant sur des médicaments antirétroviraux et 38% dans les études sur les vaccins.
"Si nous voulons trouver un remède, il est important que nous trouvions un remède qui fonctionne vraiment pour tout le monde", a déclaré Rowena Johnston, directrice de la recherche à l’amfAR.
Cette différence sexuée dans l’accès aux essais cliniques est d’autant plus dommageable que femmes et hommes ne réagissent pas non plus de la même manière aux traitements contre le VIH. Par exemple, un antiviral systémique appelé dolutegravir peut augmenter le risque d'anomalies du tube neural chez les enfants nés de mères qui prennent ce médicament. L’antirétroviral appelé névirapine est quant à lui plus susceptible de causer une éruption cutanée grave chez les femmes que chez les hommes. Pourtant, il a été testé sur 85% d’hommes.
Cette absence de mixité dans les essais cliniques est d’autant plus flagrante lorsque l’on ne s’intéresse qu’aux femmes noires. Pour Ublanca Adams, une Californienne de 60 ans avec le VIH, cet obstacle supplémentaire qu’ont les femmes de couleur tient en grande partie de la méfiance due à la "longue histoire d’exploitation par les chercheurs médicaux". "Il y a encore beaucoup de stigmatisation dans notre communauté auteur de la recherche", explique-t-elle, déplorant une information autour des différents traitements qui n’est "ni inclusive, ni invitante".
Une lente évolution
Mais pourquoi les essais cliniques reposent-ils avant tout sur des cohortes majoritairement masculines ? Parce qu'il s'agit d'une "solution de facilité", estime le New York Times. En effet, les études portant sur des sujets féminins font l’objet d’un examen plus approfondi de la Food and Drug Administration (FDA) car l’agence de santé américaine applique des règles très strictes pour inclure les femmes en âge de procréer.
Les chercheurs préfèrent donc recruter des hommes et se contentent de recueillir des données auprès des femmes une fois que le médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché.
Heureusement, les choses évoluent peu à peu. Deux essais récents de médicaments antirétroviraux à longue durée d'action - qui peuvent être injectés tous les mois au lieu d'être pris par voie orale tous les jours - ont réussi à attirer un nombre important de femmes : 33 % des participantes à une étude et 23 % à l'autre.
Un autre essai se concentre quant à lui uniquement sur les femmes, et porte sur un médicament qui bloque l'œstrogène afin de vérifier s’il facilite l'élimination du V.I.H. Ses auteurs ont cependant dû faire quelques concessions et recruté des femmes ménopausées pour contourner les restrictions de la FDA. Or ces participantes ont des niveaux inférieurs d'œstrogènes, ce qui peut fausser les résultats. Pourtant, l’auteure principale est optimiste. "Nous avons été l’un des essais les plus rapides à recruter. Les femmes sont prêtes à participer", se réjouit le Dr Eileen Scully, professeure adjointe de médecine à l'Université Johns Hopkins.