Elles sont essentielles à notre bien-être, et pourtant. Les amitiés sont parfois source de souffrance psychologique, au point de ne plus savoir qu’en faire. "Cela a commencé petit à petit, sans que je m’en rende compte", raconte Sybille*, 41 ans, mère au foyer. "Une de mes meilleures amies s’est mise à se plaindre de tout, en permanence. Pas un jour se passait sans que je ne reçoive un sms négatif, et ce quoi qu’il se passe dans ma vie à moi. Et en plus, elle ne m’écoutait plus. Je ne lui en ai pas parlé, je me suis dis que ça allait lui passer. Mais un jour, sans que je m’y attende, j’ai pété les plombs. Je lui ai balancé ses quatre vérités, et je ne l’ai plus jamais revue", regrette-t-elle.
L'amitié plus efficace pour lutter contre la douleur que les médicaments
Remède contre le stress, la dépression ou encore les maladies du vieillissement : l'amitié a fait l'objet de nombreux travaux scientifiques, qui mettent à chaque fois en valeur son impact positif sur la santé. Une récente étude démontre par exemple que le bien-être et la santé mentale des mamans s’améliorent lorsque celles-ci sortent deux fois par semaine avec leurs meilleures amies. Selon une recherche publiée dans la revue Nature, l'amitié serait même plus efficace pour lutter contre la douleur que les médicaments à base d'opiacés, pourtant prescrits pour les souffrances physiques modérées à sévères.
Certains profils "d’amis toxiques" sont malgré tout assez bien répertoriés par les psychologues. L’égocentrique, le négatif, l’intrusif, le critique, le manipulateur, le peu fiable, celui qui n’a jamais tort… Mais la réalité est, comme souvent, bien plus complexe, ne serait-ce parce que les amitiés ne sont pas figées dans le temps : elles évoluent. "Un ami est avant tout quelqu’un avec qui on partage quelque chose", explique Danièle Brun, psychologue et psychanalyste, auteure de L’empreinte du corps familial et La Passion dans l’amitié (Odile Jacob). "Il peut s’agir de situation de vie, comme l’école, le travail, mais aussi des valeurs, des loisirs, des combats… De ce fait, un changement dans la vie de l’un ou de l’autre peut conduire à une rupture amicale. Je parle ici par exemple d’un déménagement, d’une naissance, d’une mise en couple, etc." , poursuit la professeure.
"L’impression de ne plus rien avoir en commun avec elle"
Célibataire à l’époque, Milla, 34 ans, raconte avoir très mal vécu la grossesse de sa meilleure amie. "C’est vrai que j’ai été jalouse à l’époque. Moi je galérais avec les hommes depuis des années, alors que j’avais envie de me poser, de fonder une famille, comme elle. Mais au-delà de ça, j’avais l’impression de ne plus rien avoir en commun avec elle. Je lui racontais mes plans culs foireux, et elle me répondait couches et biberons. Finalement, j’ai mis cette amitié entre parenthèse, et notre complicité est revenue quand je me suis mise en couple", raconte cette éducatrice spécialisée.
Dans la réalité, les personnalités sont aussi plus complexes que celles décrites par les profils types. Depuis tout petit, le meilleur ami de Damien le rabaisse. Sa personnalité dominante l’étouffe et l’empêche de se sentir bien dans sa peau. "Disons qu’il me vanne souvent. C’est censé être de l’humour, mais cela me blesse profondément. A l’adolescence, cette relation m’a presque mis en dépression", se souvient le jeune homme de 32 ans, avocat spécialisé dans le droit de la famille. "Pourtant, je sais qu’il sera toujours là pour moi, quoi qu’il arrive. C’est un pilier, il l’a déjà prouvé. Il sait m’écouter. Là je vais me marier, et ce sera mon témoin", ajoute-t-il en souriant.
A partir de quand doit-on agir ?
Une fois analysé que quelque chose cloche, pas facile de savoir quoi faire. L’habitude de fréquenter l’autre, la difficulté d’en parler, la peur de la solitude si cela se passe mal… Se pose d’abord la question du timing. A partir de quand doit-on agir ? "Lorsque vous avez le sentiment de perdre votre liberté. Et bien entendu, lorsque vous souffrez", explique Catherine Audibert, psychologue et psychanalyste. "Vous pouvez alors essayer de lui en parler, en n’affirmant rien mais en lui laissant la possibilité à elle (lui) aussi de comprendre que quelque chose cloche dans votre relation. N’imaginez pas la changer. Ce qui peut changer c’est la relation, pas elle", précise l’auteure de L'incapacité d'être seul (Payot).
Pour pacifier la relation, l’idée serait aussi de ne pas trop en attendre. "La relation d’amitié va se décliner en fonction de ce que l’on attend inconsciemment de l’autre en terme de satisfaction, comme la mère pouvait satisfaire son enfant, ou au contraire comme l’on aurait voulu être satisfaite par elle et qui est encore un manque que l’amie doit combler. Si vous ne répondez pas à cette demande inconsciente et/ou parfois manifeste, votre amie peut projeter sur vous des affects de haine, de rivalité, de déception, assumés ou plus ou moins bien déguisés…", poursuit Catherine Audibert.
La rupture amicale est parfois nécessaire
Mais quand les aspects négatifs de la relation se mettent à peser plus que le positif, la rupture amicale est parfois nécessaire. Pas facile à vivre, cette perte passe alors par cinq phases qui sont les mêmes que celles du deuil : le déni, la colère, le marchandage (soit le regret, la reconquête), la tristesse et l'acceptation.
Pour trouver la force d’affronter cette épreuve, savoir qu’elle est somme toute assez courante peut aider. Une étude menée par des chercheurs des universités d’Aalto (Finlande) et d’Oxford (Royaume-Uni) a ainsi démontré qu’à partir de 25 ans, notre cercle d’amis diminue progressivement, pour se concentrer sur les relations qui nous correspondent le plus.
* Les prénoms de cet article ont été modifiés.