"Je ne réussis pas avec tout le monde. Mais j’essaye". Depuis vingt ans, le docteur George O’Neil, un Australien de 70 ans, lutte tant bien que mal contre la crise des opioïdes en greffant un implant de son invention aux milliers de toxicomanes qui viennent le voir dans sa clinique au sud de Perth. Un problème toutefois et pas des moindres : si elle a beau être légale, cette intervention, à base de naltrexone, un médicament créé par O’Neil lui-même, n’est pas autorisée en Australie. Dans un reportage paru le 6 juin, le New York Time raconte le combat du médecin, actuellement en concurrence avec une compagnie américaine pour introduire son appareil aux Etats-Unis.
Concrètement, l’implant en question délivre de la naltrexone, un médicament qui bloque les effets des opioïdes dans l’estomac des patients pendant des mois, leur coupant toute envie d’avoir recours aux drogues. Le traitement coûte environ 7000 dollars australiens soit environ 4300 euros pour les patients locaux, explique Jeff Claughton, le chef de clinique. Une somme qui couvre les frais médicaux incluant l’insertion de l’implant, la cure et le suivi psychologique. Les patients payent ce qu’ils peuvent et la clinique reçoit des fonds du gouvernement et des dons, explique O’Neil. D’après ce dernier, c’est en raison de son prix élevé que les autorités australiennes n’ont pas autorisé l’implant.
La naltrexone au cœur d’un débat médical
Mais si l’Australie ne veut pas de son appareil, aux Etats-Unis, pays particulièrement touché par la crise des opioïdes (130 personnes en meurent chaque jour), l’Institut National d’Abus de Drogues, a donné 6,8 millions de dollars à l’Université de Columbia pour commencer des essais avec cet implant. Si tout se passe bien, ils y ajouteront 13,9 millions. "Il est assez clair que c’est un traitement viable et acceptable", s’enthousiasme Dr Adam Bisaga, professeur de psychiatrie au Centre Médical de l’Université de Colombia en charge de l’étude.
La compagnie américaine BioCorRx est également dans la course. Même si leur appareil durerait deux fois moins longtemps que celui d’O’Neil, selon ce dernier. De même, la naltrexone elle-même est au cœur d’un débat médical, explique le New York Times. En effet, contrairement à la plupart des médicaments contre l’addiction (la méthadone et la buprénorphine notamment), celui-ci n’est pas un opioïde et nécessite donc que les patients aillent en cure de désintoxication pendant plusieurs jours avant de pouvoir le prendre, ce qui peut pousser pas mal de malades à abandonner le traitement en cours.
En France, la prescription d’opioïdes fort a augmenté de 150% en dix ans
La crise des opioïdes est un sujet qui touche de plus en plus de pays occidentaux. Si nous sommes encore loin des chiffres de l’Amérique du Nord (300 000 Américains sont décédés des suites d'une overdose d'opiacés depuis le début des années 2000) en France, les autorités sanitaires s’inquiètent d’une consommation accrue des antidouleurs à base d’opioïdes.
Depuis les années 90, les prescriptions d’antalgiques opioïdes (tramadole, codéine…) ont explosé pour concerner 10 millions de personnes en 2015. En 2017, ces médicaments représentaient 22% de l’ensemble des antidouleurs consommés, d’abord pour prendre en charge les douleurs cancéreuses mais aussi pour traiter les douleurs chroniques dont souffrent 10 à 12 millions de Français. Quant aux opioïdes forts (oxycodone, morphine, fentanyl), leur prescription a augmenté de 150% en dix ans.
Très puissants, les antidouleurs opioïdes, qu’ils soient "faibles" ou "forts", entraînent des effets secondaires indésirables et surtout des risques graves d’addiction et de surdosage. "Certains patients vont développer une dépendance physique, augmentent les posologies et peuvent basculer vers une dépendance psychologique entraînant une perte de contrôle de leur consommation. Mais il y a aussi un risque d’overdose par arrêt respiratoire pour les patients qui ne maîtrisent pas les médicaments, qui vont vouloir chercher un effet supérieur contre la douleur voire s’automédiquer", explique Nicolas Luthier, directeur de l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA), à Libération.
Ainsi, en 15 ans, le nombre d’hospitalisations pour addiction a augmenté de 167% pour atteindre 40 hospitalisations par million d’habitants en 2017. Quant au nombre de mort par overdose à cause de ces médicaments, il est lui aussi en forte croissance. "Ce sont quelques centaines de décès par an, au minimum 200, peut-être entre 500 et un millier. Mais c’est probablement déjà trop", conclut le directeur de l’OFMA.