On connaissait le rôle essentiel du sommeil dans la consolidation de la mémoire. Au cours de ses différentes phases, il permet notamment au cerveau de faire le tri entre les informations importantes ou inutiles. En revanche, on ne savait pas quelle méthode utilisent les neurones pour effectuer ce travail. Les travaux d'une équipe de l'INSERM qui viennent d'être publiés dans Science Advance permettent d'y voir plus clair dans ce processus qui se révèle beaucoup plus complexe que ce que l'on imaginait.
Les cellules du cerveau échangent constamment des informations et, lors des phases de sommeil, cette activité sert notamment à consolider la mémoire. L'électroencéphalogramme qui permet de mesurer l'activité globale du cerveau montre des ondes régulières, plus ou moins rapides, selon les phases de sommeil mais ne permet pas de savoir comment chaque information est traitée à l'échelle du neurone.
Le trajet de l'information change en permanence
"Nous imaginions que les neurones fonctionnaient selon un schéma bien précis et répétitif pour transmettre les informations ou les stocker", explique Christophe Bernard de l'Institut de neurosciences des systèmes à l'INSERM. En utilisant des électrodes enregistrant l'activité électrique d'une centaine de neurones concentrés dans une région donnée du cerveau, son équipe a constaté que le trajet de l'information change en fait en permanence : des groupes de neurones s'organisent entre-eux pendant des temps très courts pour stocker et transmettre de l'information en se relayant sans cesse, seuls quelques-uns de ces neurones jouant un rôle prépondérant au sein de chaque groupe.
"Il y a ainsi une succession de sous-états avec, au final, environ la moitié des neurones des trois régions que sont l'hippocampe, le cortex préfrontal et le cortex entorhinal qui jouent un rôle clé dans le traitement de l'information à un moment ou à un autre. Autrement dit, il n'y a pas de hiérarchie établie au sein des neurones mais plutôt une répartition équilibrée des rôles", souligne Christophe Bernard.
"Cela se passe un peu comme sur internet"
Et c'est bien dans la découverte de ce processus complexe que réside la surprise des chercheurs : "La théorie dominante était que le transfert de l'information suivait un trajet fixe, un peu à la manière d'une machine industrielle bien réglée, or ce n'est pas le cas !", reconnait Christophe Bernard.
Et il choisit, pour illustrer comment une information ne suit pas toujours le même chemin, une image qui renvoie au fonctionnement des moyens de communication digitaux : "Cela se passe un peu comme sur internet, un mail qui part de Paris vers Sydney passera par des serveurs situés dans différents pays au cours de son acheminement, et ces serveurs varieront au cours de la journée en fonction du trafic; dans le cerveau, c'est pareil, même quand l'information est la même, les itinéraires qu'elle emprunte ne sont pas fixes et les partenaires changent sans arrêt !".
Mieux connaître le langage des neurones
Ces travaux ont par ailleurs permis de mieux connaître le "langage" des neurones : un sous-état correspond à un mot, une séquence de sous-états constitue une phrase, c'est à dire que ce langage est complexe, comme pour les langues humaines, cette complexité étant supérieure pendant le sommeil paradoxal (celui durant lequel s'expriment les rêves) que pendant le sommeil lent. Cela offre une piste de recherche pour étudier notamment le lien possible entre les pertes de mémoire chez les sujets épileptiques et la complexité du langage neuronal.