Les auditions au sous-sol du Palais Bourbon ne suffisaient pas. Le 4 septembre, le député Jean Léonetti, rapporteur de la mission d'évaluation sur la fin de vie, est parti aux Pays-Bas pour un voyage d'étude. Jeter un coup d'oeiil sur les pratiques de nos voisins européens lui semblait indispensable pour mener à bien sa mission.
C'est aussi dans cet esprit d'échange et de confrontation des pratiques médicales sur des questions fondamentales que les membres de comités d'éthique de 35 pays se sont réunis à Paris les 1er et 2 septembre à l'occasion du congrès mondial. « Il ne s'agissait pas de convaincre les autres pays de la pertinence de nos principes éthiques mais de confronter nos points de vue », précise le Pr Sadek Béloucif, anesthésiste-réanimateur et membre du comité consultatif national d'éthique (CCNE). Ce bouillonnement d'idées devrait alimenter les réflexions du CCNE sur la révision des lois de bioéthique prévue en 2009. Pour autant « regarder ce que font les autres ne veut pas dire prendre exemple », prévient le Pr Alain Grimfeld, président du CCNE. Mais alors que ressort-il de ce congrès que le Pr Béloucif a qualifié de « superbe auberge espagnole » ? Concrètement, les éthiciens du monde entier se retrouvent sur quelques principes universels : l'autonomie de la personne, la bienfaisance, le respect du consentement éclairé, le devoir de partager les savoirs scientifiques et les bénéfices de la recherche ou encore la gratuité du patrimoine génétique humain. Mais dès que l'on rentre dans le concret, tout se complique L'enjeu du clonage thérapeutique Tous les pays ne classent pas ces principes universels dans le même ordre. « Dans les pays anglo-saxons, de tradition protestante, la notion d'autonomie de la personne est presque érigée en principe suprême », explique le Pr Béloucif. Les propos du directeur des Instituts américains de la santé (NIH) confirment cette analyse puisqu'il décrivait, il y a 18 mois, sa « philosophie » : « L'esprit de découverte est la forme la plus élevée de liberté humaine, et ne s'accommode pas de restrictions. En tant que directeur des NIH, mon rôle est de réduire tous les obstacles à cette créativité ». La marge du comité d'éthique américain est manifestement étroite. Ces conceptions différentes ne sont pas sans conséquence sur des sujets comme le clonage thérapeutique. Autorisé en Grande-Bretagne, c'est un délit en France puni de sept ans de prison et de 100 000 euros d'amende. Peut-on pour autant en conclure que nos principes éthiques sont un frein au progrès ? De nombreux scientifiques répondent oui. Une pétition réclamant l'autorisation du clonage thérapeutique, signée en 2005 par des personnalités scientifiques tendrait à le prouver. Leur argument : cette technique permettrait de faire progresser les traitements de certaines pathologies comme l'Alzheimer.
L'histoire leur donne-t-elle raison ? Certes, les chercheurs britanniques n'ont pas encore trouvé ce traitement magique, et ce malgré l'autorisation du clonage thérapeutique. Mais, les dérives redoutées ne se sont pas produites… Reste à savoir si les frontières éthiques résistent à la mondialisation. Bien sûr que non, répond Emmanuel Hirsch, responsable de l'Espace éthique de l'AP-HP. « Prenons l'exemple des tests de prédisposition génétique. En France, ils sont autorisés seulement s'il y a une justification médicale. Cela n'empêche pas nos concitoyens d'aller sur des sites Internet étrangers et d'obtenir des tests génétiques après avoir envoyé en Espagne ou ailleurs un prélèvement de salive. » L'éthique serait donc logée à la même enseigne que l'économie. Cécile Coumau Pas de fossé entre l'Europe et l'Afrique Des pays à des années lumière l'un de l'autre peuvent-ils partager les mêmes préoccupations éthiques ? Le CCNE, qui a organisé le 7e congrès mondial des comités d'éthique, avait fait le pari que c'était possible. Les représentants des comités d'éthique africains, présents pour la première fois lors d'un congrès mondial, ont effectivement apporté leur regard sur l'euthanasie ou la gestation pour autrui. « Mais, l'acharnement thérapeutique n'existe pas vraiment chez nous parce que les soins sont trop coûteux, explique le représentant tunisien. On ne peut pas soigner tout le monde, voilà notre problème éthique n°1 ». Si la France n'en est pas là, les contraintes budgétaires pesant sur les dépenses de santé obligent aussi à des choix. C'est pourquoi le CCNE a remis un avis sur ce sujet en juin 2007. Pour le Pr Grimfeld, CQFD : « Vous voyez bien que la réflexion éthique de nos confrères africains sur les problèmes d'accès aux soins peut nous faire avancer ». Questions au Pr Sadek Béloucif, anesthésiste-réanimateur, membre du comité d'éthique Le danger des valeurs universelles Croyez-vous à la pertinence d'un comité mondial d'éthique ? Pr Sadek Béloucif. Je ne pense pas que cela aurait un sens. Quelle action serait prise à l'unanimité de tous les membres de ce comité mondial ? La condamnation véhémente du clonage reproductif ? Oui, et encore… Il serait difficile de poser un cadre normatif qui s'imposerait à tous. Quand on réfléchit à l'échelon mondial, on se rend compte de la difficulté d'obtenir des valeurs éthiques jugées universelles. Et vouloir imposer des valeurs comme le respect absolu de la vie fait courir le risque d'une normativité extrême qui pourrait être une dictature.
Ne pas s'accorder sur des valeurs éthiques universelles ne présente-t-il pas un danger ? Pr S.B. Si, c'est le relativisme culturel qui invite à tout accepter au nom des coutumes. Et là, c'est la négation de tout principe éthique. La voix médiane, c'est d'aller vers un pluralisme négocié, ce que les Canadiens appellent les accommodements raisonnables. Ce sont des mesures visant à lutter contre toutes sortes de discrimination, acceptées par le plus grand nombre.
Sur la fin de vie, quelle a été la nature des débats au congrès mondial ? Pr S.B. Nous avons fait valoir le point de vue de la France, et notamment l'originalité de la loi Léonetti. Elle mérite d'être mieux connue en France et dans le monde parce qu'elle est emblématique. En effet, elle permet de ne pas opposer de manière stérile deux principes éthiques fondamentaux, que sont la bienfaisance et l'autonomie de la personne. |