L’addiction aux opioïdes, ces puissants médicaments dérivés de la morphine, ne fait pas des ravages que chez les adultes. Cette dépendance peut aussi toucher les très jeunes enfants et les nouveau-nés. C’est ce que met en lumière une nouvelle étude du Centre de recherche hospitalier de l'Université de Montréal (CRCHUM) publiée dans le Canadian Medical Association Journal.
Selon sa principale auteure, la Dre Nathalie Auger, ces antidouleurs accessibles sur ordonnance et régulièrement prescrits après une chirurgie multiplient le risque de dépendance, non seulement chez la mère, mais aussi chez son enfant si celle-ci tombe enceinte après l’intervention. "L'utilisation d'opioïdes pour contrôler la douleur après une intervention chirurgicale peut augmenter le risque de dépendance aux opioïdes chez les femmes et de sevrage chez les nouveau-nés", explique la chercheuse.
Un risque pour la santé des nourrissons
"Nous avons constaté que les mères qui avaient subi une intervention chirurgicale avant la grossesse présentaient un risque 1,6 fois plus élevé de syndrome d'abstinence néonatale (SAN) - c'est-à-dire de symptômes de sevrage aux opioïdes chez leurs futurs nouveau-nés - peut-être parce que l'usage d'opioïdes se poursuit après la chirurgie."
Selon la Société Canadienne de Pédiatrie, le syndrome d'abstinence néonatale est un phénomène très inquiétant pour la santé et le développement précoce du cerveau. Il peut provoquer une interruption de la relation mère-nourrisson, des anomalies du sommeil/éveil, des difficultés d'alimentation, une perte de poids et des convulsions.
Pour mesurer le risque de dépendance aux opioïdes des nourrissons dont la mère avait été opérée avant la grossesse, les chercheurs ont analysé les données de près de 2,2 millions de grossesses aillant eu lieu au Québec entre 1989 et 2016. Parmi les bébés faisant partie de l’échantillon, 2 346 souffraient du syndrome d'abstinence néonatale, parmi lesquels 1 052 dont la mère avait subi une chirurgie avant la grossesse (14,9 pour 10 000 bébés) comparativement à 1 294 bébés (8,8 pour 10 000) nés de mères non opérées.
Une plus grande vigilance des médecins
En analysant les résultats, les chercheurs ont constaté que certains facteurs favorisaient le syndrome d’abstinence néonatale. C’est le cas notamment des chirurgies multiples, d’un jeune âge au moment de la chirurgie, d’un délai plus long entre la chirurgie et la grossesse. Les interventions cardiovasculaires, thoraciques, urologiques ou neurochirurgicales sont aussi associées à un plus grand risque de dépendance du nouveau-né aux opioïdes.
Ils ont aussi remarqué qu’il y avait une forte association avec l'anesthésie générale. Selon eux, c’est sans doute car ce type d'anesthésie est utilisé dans les chirurgies plus complexes, qui peuvent nécessiter une utilisation plus longue et un dosage plus élevé d'analgésiques.
"Les médecins ont le potentiel de prévenir le syndrome d'abstinence néonatale grâce à une prise en charge postopératoire soigneuse de la douleur chez les jeunes femmes", affirme le Dr Auger. "Les opioïdes continuent d'être surprescrits, malgré les appels à optimiser le contrôle postopératoire de la douleur par l'amélioration des directives chirurgicales et l'utilisation d'approches à plusieurs volets avec des analgésiques non opioïdes ou des anesthésiques locaux".
Pour limiter le risque de dépendance des nouveau-nés et donc réduire le risque de syndrome d'abstinence néonatale, elle préconise ainsi de "limiter l'exposition postopératoire aux opioïdes, réduire la surprescription et dépister l'usage d'opioïdes chez les femmes enceintes qui ont déjà subi une chirurgie".