Du collyre à base d'eau croupie, du sirop contre la toux contenant de l'antigel, de l'aspirine fabriquée avec du talc… Les exemples de médicaments contrefaits aux principes actifs plus que douteux ne manquent pas. Certes, la plupart ne passent pas les frontières de l'Hexagone. Cette quasi immunité, la France la doit à une chaîne du médicament extrêmement contrôlée mais aussi au bon niveau de remboursement de ces mêmes médicaments. Seulement 1 % de notre marché serait grignoté par la contrefaçon. Un taux qui grimperait autour de 5 % chez nos voisins européens, et à 10 % outre-Atlantique. Faut-il pour autant pratiquer la politique de l'autruche ? Bien sûr que non, répondent en choeur industrie pharmaceutique et pouvoirs publics. C'est pourquoi le groupe Sanofi-Aventis vient d'inaugurer le laboratoire central anti-contrefaçon à Tours. Une initiative soutenue par le gouvernement. « La lutte contre la contrefaçon est devenue une priorité depuis un an parce que les risques sont multiples, a souligné Hervé Novelli, secrétaire d'Etat chargé du commerce, de l'artisanat, des PME, du tourisme et des services, lors de l'inauguration de ce laboratoire. C'est aussi une menace pour l'innovation. Un inventeur dont les droits de propriété ne sont pas protégés ira innover ailleurs. » Les répercussions économiques de la contrefaçon se chiffrent en effet en milliards d'euros puisqu'en 2006, les copies auraient représenté 10 % du marché pharmaceutique mondial. « Et avec l'arrivée d'Internet, la contrefaçon est devenue aussi un problème pour les pays du Nord », précise Jean-François Dehecq, président de Sanofi-Aventis. Autrement dit, les frontières françaises sont devenues plus poreuses. Par ailleurs, l'époque où les professionnels de la contrefaçon ne s'attaquaient qu'aux médicaments de confort est bien révolue. Le démantèlement à Lyon, en juin dernier, d'un laboratoire clandestin de produits anti-cancéreux en est la preuve.
Une loi française exemplaire Pour lutter contre les copies en tout genre, les pouvoirs publics ne comptent pas que sur les industriels. En octobre dernier, la France s'est en effet dotée d'une loi sur la contrefaçon particulièrement répressive. Ce texte introduit notamment la notion de circonstances aggravantes pour les produits présentant un risque pour la santé. Or, « dans l'immense majorité des pays, la contrefaçon de produits mortels n'est pas plus pénalisée que celle de tee-shirts, » s'insurge Jean-François Dehecq. Et la France ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. A l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, elle veut accentuer la « prise de conscience autour de ce sujet et favoriser la coopération de l'Europe avec les Etats-Unis et le Japon », a indiqué Hervé Novelli. Peu de chance qu'elle prêche dans le désert. La Fédération européenne d'associations d'industries pharmaceutiques a déjà labouré ce terrain, réclamant en juin dernier l'interdiction du reconditionnement de médicaments, une pratique favorisant la contrefaçon. Et, en 2009, un nouveau système de codification des boîtes de médicaments, appelé Data-Matrix, sera expérimenté en Allemagne. Les efforts sont notables mais la route risque d'être longue. Selon une étude de la Fédération internationale des industries pharmaceutiques (IFPMA), le business de la contrefaçon de médicaments serait 25 fois plus lucratif que celui de l'héroïne… et beaucoup moins risqué. Cécile Coumau Questions à Philippe Kearney, sous-directeur du commerce international à la direction générale des douanes Les douaniers surfent sur internet La contrefaçon est-elle en expansion ? Philippe Kearney. Depuis quelques années, nous assistons à une véritable explosion de la contrefaçon. Pour les seules saisies douanières, nous sommes passées de 200 000 à 6 millions d'articles en quinze ans. Il y a évidemment de tout : des produits de luxe, des cigarettes, des jouets… Le phénomène est plus récent pour les médicaments mais il est en nette croissance. Aujourd'hui, nous saisissons en Europe environ 2 millions de médicaments contrefaits sur une centaine de million d'articles saisis chaque année.
Notre dispositif de lutte s'est-il adapté en conséquence ? P.K. Le dispositif douanier a effectivement évolué. Nous avons notamment une équipe de douaniers qui surfent sur Internet pour identifier les ventes frauduleuses. Par ailleurs, nous avons renforcé notre coopération avec les opérateurs de frêt express puisque les marchandises doivent être livrées. Et c'est à ce moment-là que nous effectuons la saisie. Par ailleurs, notre dispositif législatif anti-contrefaçon a lui aussi évolué. Nous avons glissé d'une problématique de protection de l'emploi vers une lutte contre la criminalité organisée et une défense de la santé publique. C'est pourquoi la loi d'octobre 2007 renforce les sanctions envers les produits dangereux pour la santé. Les peines de prison sont de 5 ans et les amendes de 500 000 euros, alors que les sanctions de droit commun sont de 3 ans et 300 000 euros. Entretien avec Matthias Germain |