Comme chaque année, la journée mondiale Alzheimer (le 21 septembre 2008) rappelle l'urgence. 225 000 nouveaux cas se déclarent en France chaque année. À l'horizon 2020, les spécialistes prévoient 1, 2 million de malades. Jusqu'à présent les traitements sont peu efficaces. La plupart des médicaments freinent la destruction des neurotransmetteurs (acétylcholine), mais de manière « modeste », rappelait en 2007 la Haute autorité de santé. Sans oublier qu'en 2001, les essais cliniques d'un vaccin avaient été brutalement interrompus. 6 % des participants ont subi des méningites et des encéphalites. Mais, la recherche de moyens thérapeutiques semble prendre un nouveau tournant. « Cette mauvaise passe de 2001 semble derrière nous », estime avec prudence le Pr Bruno Dubois, chef de service de neurologie à la Pitié-Salpétrière (AP-HP) et directeur de recherche à l' Inserm (U 610). Plusieurs pistes s'annoncent prometteuses.
Les vaccins sont en bonne position dans cette course contre la maladie. Plusieurs sont actuellement en phase d'essai chez l'homme. « Deux sont en ce moment à l'étude en phase 2, témoigne le Pr Dubois. Ces vaccins reprennent la stratégie développée en 1999 qui avait montré son efficacité sur des souris. On injecte une protéine amyloïde de synthèse dans l'organisme du patient afin que ces cellules immunitaires secrétent des anticorps contre elle. Ces anticorps vont pénétrer dans le cerveau et dégrader les « plaques séniles » responsables des défauts de reconnaissance des visages ou des objets chez les malades. « Nous avons tiré les leçons de 2001, précise Bruno Dubois. Les raisons des effets secondaires ont été analysés. Nous avons baissé les doses de protéines. Nous sommes passés d'un produit de 42 acides aminés à d'autres qui n'en contiennent que 6 ou 7. Ces produits ont été testés chez la souris avec de bons résultats. » Ce sont ces vaccins qui sont en cours d'étude en France et à l'étranger. En outre, d'autres vaccins entrent prochainement en phase d'essai thérapeutique. « Il s'agit d'immunothérapie passive, souligne le Pr Bruno Dubois. On injecte directement des anticorps monoclonaux dans l'organisme. » Trois laboratoires sont sur les rangs.
Les espoirs portent aussi sur des traitements qui pourraient stopper le processus de dégénérescence. « Jusqu'à présent les chercheurs se sont beaucoup focalisés sur les dysfonctionnements de la protéine amyloïde, explique le Pr Luc Buée, directeur de recherche à l'Inserm (U 837) à Lille, mais ces traitements ne permettent pas au patient de retrouver ses fonctions cognitives ». En plus des plaques séniles, la maladie d'Alzheimer comprend un second mécanisme : la dégénérescence des neurofibrilles avec l'agrégation de la protéine Tau. « Lors du dernier congrès mondial sur Alzheimer (ICAD), une molécule permettant de freiner l'accumulation de protéines Tau dans les neurones a été présentée », témoigne Luc Buée Les premiers essais sur l'homme, présentés par le Pr Claude Wischik, chercheur de l'université d'Aberdeen (Ecosse) et responsable d'un laboratoire pharmaceutique à Singapour, sont encourageants. Cette étude a été menée pendant 24 semaines au Royaume-Uni et à Singapour, sur 321 patients atteints d'une forme légère de la maladie d'Alzheimer. Cinquante semaines après le début du traitement, les chercheurs ont noté une nette diminution du déclin cognitif associé à la maladie (- 81 %) par rapport aux patients sous placebo. Dix-neuf mois après le début du traitement, les symptômes des patients sous traitement restaient stables contrairement à ceux sous placebo. Le Pr Wischik a même détaillé le cas de personnes qui se sont remis à se servir de leur ordinateur, à s'enflammer pour des débats politiques alors que la maladie avait commencé à les isoler. Face à ces résultats prometteurs, il estime que le médicament pourrait être sur le marché dès 2012. « Il faut rester très prudent, estime le chercheur Luc Buée, pour le moment nous n'avons pas eu accès à toutes les données de cette étude. L'efficacité de ce traitement doit être confirmée à plus large échelle. »
Du côté des médicaments symptomatiques, des avancées ont eu lieu. « Un médicament appelé Dimebon a montré des résultats prometteurs après une étude de phase 3, rapporte le Pr Bruno Dubois. Il semble améliorer la capacité de raisonnement, de mémoire des patients atteints de la maladie d'Alzheimer au stade précoce à intermédiaire. » Une deuxième étude de phase 3 doit confirmer ces résultats avant que ce médicament ne soit présenté aux agences pour une AMM. D'autre part, un autre produit est à l'étude notamment en France sur des patients Alzheimer au stade très précoce de la maladie. Il s'agit du DMAE, déjà commercialisé, mais qui est cette fois analysé avec des doses plus élevées. « Cette étude est intéressante car, pour la première fois, nous nous intéressons à une nouvelle population de patients », pense le Pr Dubois, qui travaille à la création d'institut Alzheimer à la Pitié-Salpétrière. Ces bonnes nouvelles stimulent les chercheurs et les cliniciens. Est-ce que le plan Alzheimer contribue à ce nouvel élan ? « Il y participe, souligne Luc Buée. Pour la première fois, le plan a défini un budget pour la recherche. Et il lance une Fondation de coopération scientifique regroupant des ressources publiques et privées, qui va faciliter les recherches transversales. » Cette fondation a été installée en juin dernier. Elle est adossée à l'Inserm, à l'Ecole des hautes études en santé publique et à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Dans sa corbeille de naissance, l'Etat a déposé 14 millions d'euros.
Questions à... Pr Bruno Dubois, chef de service et directeur de recherche (La Pitié Salpétrière, AP-HP)
Agir sur le processus de la maladie
Quelles sont les nouvelles pistes de recherche ? Pr Bruno Dubois. On parle maintenant d'une nouvelle classe de produits, les « disease modifiers », c'est-à-dire des traitements qui ne jouent pas sur les symptômes mais sur le processus de la maladie. Ils sont extrêmement intéressants parce qu'ils visent à ralentir le processus lésionnel, celui des plaques amyloides d'une part et celui de l'agrégation des protéines Tau d'autre part.
Tous ces traitements sont prometteurs ? Pr B. D. Nous obtenons des résultats variés. Il y a d'abord une étude sur un nouveau produit, le flurizan ou le tarenflurbil, qui a pour propriété clinique de diminuer la production du peptide amyloïde. Une étude de phase 3 a un peu refroidi l'enthousiasme suscité par les résultats obtenus en phase 2. Mais cela ne signifie pas que le produit est inefficace. Il faut être prudent et persévérant. Ces mauvais résultats sont peut-être dus au fait qu'on a administré cette molécule à des patients Alzheimer à un stade trop tardif. Une autre molécule sera en phase d'essai en France dans les mois qui viennent. Il s'agit d'un inhibiteur de la gamma secrétase. C'est intéressant car il s'attaque à l'enzyme qui permet la production de la peptide amyloide.