« Impossible de gagner le Tour de France sans se doper ». L’ancien champion cycliste, Lance Armstrong, a fêté le début du 100ème Tour de France à sa manière. Sa déclaration au quotidien Le Monde n’est évidemment pas passée inaperçu, notamment chez ses anciens partenaires ou adversaires qui n’en peuvent plus de voir l’image de leur sport salie. Il a ensuite relativisé ses propos en précisant que c’était impossible entre 1999 et 2005. « Aujourd'hui ? Je n'en ai aucune idée. J'espère que c'est possible.»
En revanche, du côté des médecins du sport, l’affirmation de Lance Armstrong ne surprend guère. « Le Tour de France, on peut le gagner sans dopage, déclare le Pr Jean-François Toussaint, professeur de physiologie et directeur de l’Institut de recherche medicale et d’épidémiologie du sport. La question, c’est quel est le niveau de la concurrence. Si la concurrence est dopée, à ce moment-là, il est difficile de le gagner sans se doper. » Même son de cloche du côté du Dr Alain Ducardonnet, ancien médecin du Tour de France : « Il suffit qu’il y ait 10% de coureurs dopés pour que les règles du jeu soient faussées. »
Ecoutez le Dr Bruno Sesboué, médecin du sport au CHU de Caen : « Les tricheurs ont forcément un avantage sur les autres. »
1993 : l'EPO arrive, les performances augmentent de 6%
Bien sûr, l’amélioration des performances ne repose pas que sur les substances dopantes. Les premiers coureurs du Tour de France effectuaient près de 6000 km, avec des vélos de 30kg, sans pignon. Depuis, tout s'est professionnalisé : le matériel, les tactiques de course, les entraînements, l’alimentation des sportifs… sans compter que les routes ne sont plus celles du début du siècle. Mais, cela ne suffit pas à expliquer le rythme toujours plus rapide des coureurs. « La moyenne horaire augmente régulièrement sur le Tour de France. Ces derniers temps, elle a beaucoup augmenté et on est en droit de se poser des questions » , indique le Dr Bruno Sesboué.
Des éléments de réponse sont apportés par les contrôles anti-dopage, quelques rares témoignages de coureurs repentis mais aussi par des études scientifiques. A l’Institut de recherche medicale et d’épidémiologie du sport, le Pr Toussaint a étudié les performances, sur 20 ans, des cyclistes sur le Tour de France et d’autres grandes épreuves cyclistes. Et l’arrivée de l’EP0 dans le peloton a eu un impact très net.
Ecoutez le Pr Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de recherche médicale et d’épidémiologie du sport : "Jusqu'en 1990, plus le nombre de cols est important, plus la vitesse moyenne diminue. Après, jusqu'en 2005, plus les étapes de montagne sont nombreuses, plus la vitesse augmente. Ce qui est totalement incohérent avec la physiologie".
L’EPO commence à être massivement utilisée par les coureurs du peloton en 1993. Et c’est en 1995 que l'italien Marco Pantani grimpe à l’Alpe d’Huez en 36 min et 40 s, un record jamais égalé.
Si le dopage est devenu une pratique si répandue dans les compétitions internationales de cyclisme, les raisons sont multiples. « La signature d’un contrat de plusieurs dizaines de milliers d’euros dépend des performances faites notamment lors du Tour de France », explique Alain Ducardonnet. Le sport business alimente donc l’économie du dopage. Mais, le niveau de pénibilité de telles épreuves sportives serait donc aussi responsable du recours à l’EPO, à l’hormone de croissance ou à tout autre produit dopant.
"Deux fois l'Alpe d'Huez sur le Tour 2013, c'est choquant"
Pour l’ancien médecin du Tour, c’est d’abord le calendrier des épreuves qu’il faut incriminer. « Les coureurs arrivent au départ du Tour de France avec 20 000 km dans les jambes. L’accumulation des courses est incontestablement un facteur de pénibilité ». Le nombre d’étapes de montagne a lui aussi augmenté au fil des années. « Dans l’édition 2013, les coureurs vont devoir grimper deux fois à l’Alpe d’Huez. En tant que médecin, vu l’effort physique que cela demande, je trouve cela choquant, lâche Alain Ducardonnet. C’est carrément de la provocation. »
Cependant, la 100ème édition qui a démarré le 29 juin n’est pas la plus longue de l’histoire du tour, loin de là. « Aujourd’hui, la boucle fait environ 3000 km alors qu’à une époque, on atteignait allègrement les 5500 km », rappelle le Dr Bruno Sesboué. Par ailleurs, les coureurs ont aujourd’hui deux jours de repos au lieu d’un. La durée des étapes a aussi été raccourcie. Les plus longues font 225km, contre 450 dans les années 40. « Tout cela va dans le bon sens, estime le médecin du sport du CHU de Caen. Mais, on ne peut pas aller beaucoup plus loin sinon, on risque de transformer l’épreuve reine du Tour de France en critérium de province. Maintenant, il faut que la peur du gendarme devienne plus forte. » La multiplication des contrôles anti-dopage est donc une priorité. Mais il faut aussi faire la chasse aux nouveaux produits dopants qui arrivent sur le marché.
Ecoutez le Dr François Carré, cardiologue du sport à Rennes : "Une toute nouvelle molécule, l'ACAR, a un effet très important sur l'endurance. Mais, cette molécule a été abandonnée par le laboratoire tellement elle est dangereuse".
Viser l’éradication du dopage nuirait-il au spectacle ? Non répondent en chœur les médecins du sport, qui sont aussi des amoureux de la petite reine. « S’il n’y avait pas de dopage, la vitesse moyenne diminuerait de 5 ou 6 km/h, estime Alain Ducardonnet. Et alors ? » « Dans les années 50, le Tour était très regardé. Et à l’époque, le dopage en était vraiment à l’ère artisanale », ajoute le Dr Sesboué. « Ce qui compte, c’est l’incertitude du résultat, surenchérit Jean-François Toussaint. Qui sera sacré vainqueur sur les Champs-Elysées le 21 juillet prochain ? Les paris sont ouverts.