Dans une épicerie sociale de Roubaix, une mère de famille fait ses courses. C'est le jour de la distribution gratuite des fruits. Pourtant, dans son caddy, pas l'ombre d'une pomme mais des barres chocolatées et des chips. Le Dr Jean-Michel Borys, endocrinologue et coordinateur du réseau Epode (Ensemble prévenons l'obésité des enfants), l'interroge. « Elle a fini par me dire qu'elle n'avait pas les moyens de payer des Nike à ses enfants. Les seules marques qu'elle pouvait leur offrir, c'étaient celles-là. C'est sa façon à elle de faire partie de la tribu sociale », en conclut le Dr Borys. Cette anecdote illustre bien la difficulté de lutter contre la malbouffe. L'un des noeuds du problème est la composante sociale de l'obésité. « La carte de la précarité et celle des personnes en surpoids sont superposables », affirme le responsable du programme Epode. Les derniers chiffres sur l'obésité en France montrent d'ailleurs que l'épidémie marque le pas dans les classes les plus aisées mais continue à se propager chez les plus défavorisés. Inutile donc de chercher des recettes miracles. En revanche, les chiffres montrent l'urgence à enrayer cette épidémie. Un adulte sur deux est actuellement en surpoids et un sur six est obèse. Chez l'enfant, la prévalence inquiète aussi : près de 4 % des enfants sont obèses et 15 % en surcharge pondérale. A ce rythme là, la France comptera 25 % d'adultes obèses en 2018. Du coup, l'obésité est un sujet porteur et les rapports pleuvent . Dernier en date, celui de la député UMP Valérie Boyer qui contient quelque 80 propositions. « Un ramassis de choses très disparates », pour les uns, « de grandes généralités » pour d'autres, ce rapport a du mal à mettre en évidence des lignes directrices pour lutter contre l'obésité.
Pourtant, des méthodes commencent à avoir fait la preuve de leur efficacité. L'étude Fleurbaix Laventie menée pendant 15 ans dans deux communes du Nord de la France, a expérimenté de nouvelles techniques d'éducation nutritionnelle. Quant au programme Epode lancé en 2004 dans dix villes pilote, il a permis de tester grandeur nature l'intérêt d'une mobilisation générale de toute une ville en faveur de la diversité alimentaire et de l'activité physique. Les dix villes pilotes ont d'ailleurs resigné pour poursuivre le programme pendant 5 ans et Paris devrait entrer dans la danse en début d'année 2009.
Les bienfaits du coaching individuel Avec le recul, l'accompagnement personnalisé est plébiscité. Grâce à l'intervention d'une diététicienne à domicile, à ses conseils par téléphone, les habitudes alimentaires des habitants de Fleurbaix et Lanventie ont durablement changé. Un an après l'arrêt de ce coaching, la consommation de fruits et légumes a doublé. Dans les villes Epode, le fait que l'école, les commerçants, la mairie mènent des actions complémentaires a aussi porté ses fruits. « Dans les villes qui ont presque 5 ans de recul, nous constatons une baisse de 6 à 15 % du taux d'obésité chez les 5-12 ans », affirme le Dr Borys. Pour le Dr Jacques Cheymol, animateur d'un réseau de prise en charge de l'obésité pédiatrique en Ile-de-France, il ne faut pas négliger « un outil validé depuis plus de 20 ans : les courbes de corpulence de l'enfant qui permettent un dépistage précoce des candidats à l'obésité ». Dans la dernière version du carnet de santé, ces courbes ont été mises sur la même page que celle des courbes de poids et de taille mais « elles restent insuffisamment utilisées », regrette le Dr Cheymol. Autre certitude que clament tous les spécialistes de l'obésité : l'activité physique est un outil de prévention au moins aussi efficace que les conseils diététiques. L'étude ICAPS menée pendant quatre ans dans huit collèges du Bas-Rhin a montré que le risque de se trouver en surpoids à la fin de l'étude avait été réduit de moitié grâce à une augmentation de l'activité physique et à une baisse du temps passé devant la télévision. La lutte contre l'obésité n'est pas donc pas qu'une affaire de professionnel de santé. « Quand un supermarché organise une animation autour d'une soupe géante et en profite pour faire des promotions sur les légumes, c'est complémentaire du travail des médecins », déclare le Dr Borys. Si des études montrent la voix à suivre, la route risque d'être encore longue. Les spécialistes de la prévention estiment que pour changer les habitudes de vie de toute une population, il faut compter 20 à 30 ans. C.C.
80 propositions pour prévenir l'obésité La député Valérie Boyer a remis son rapport sur la prévention de l'obésité le 30 septembre. Avec ses 80 propositions, elle souhaite attaquer ce « véritable problème de société » sur tous les fronts. Voici quelques-unes des mesures concrètes qu'elle préconise de : - modifier le régime fiscal des produits alimentaires en baissant de 2% la TVA sur les produits non transformés et en augmentant celle sur les produits gras ; - déployer 32 centres de référence obésité sur tout le territoire pour « éviter l'errance des patients » dans la chaîne de soins ; - équiper les établissements de santé de matériels adaptés aux obèses (lits, blouses, scanner…) ; - contrôler systématiquement le poids, la taille et l'IMC lors d'une consultation chez le médecin traitant ; - promouvoir l'allaitement maternel - mettre en place un étiquetage fondé sur le profil nutritionnel des aliments - faciliter la pratique d'activité physique, notamment en établissant des recommandations de bonnes pratiques aidant les professionnels de santé à être prescripteur d'activité physique. Questions à... Dr Jacques Cheymol, pédiatre et animateur d'un réseau sur l'obésité infantile
Repérer les premiers signes dès 3 ans Quels avantages présentent les réseaux pour la prise en charge en charge de l'obésité ? Dr Jacques Cheymol. Dans les réseaux, nous parvenons à faire un repérage et une prise en charge précoces. Alors qu'en moyenne, l'obésité infantile est dépistée vers 7 ou 8 ans, dans notre réseau, nous parvenons à repérer des rebonds d'adiposité vers 3 ou 4 ans. Or, en la matière, plus on commence tôt, meilleur est le résultat. Cette précocité permet souvent de stabiliser l'IMC de ces jeunes enfants. En fait, il est plus aisé de changer les habitudes d'un enfant de quatre ans que celles d'un jeune obèse de 12 ans. Là, c'est vraiment laborieux.
Ces enfants ont-ils besoin d'être très suivis ? Dr J.C. Oui, et c'est l'autre avantage des réseaux. Les enfants sont vus tous les mois. La fréquence des rendez-vous est un élément déterminant. Ainsi, nous pouvons vraiment adapter la prise en charge. Car il faut se méfier des messages outranciers ou même des recommandations lapidaires semblables à celles qui sont données dans les magazines. Mais, le travail des réseaux, ce n'est qu'une goutte d'eau dans la mer étant donné le nombre d'enfants obèses.
Combien de temps faut-il pour modifier le mode de vie d'une famille ? Dr J.C. C'est un travail de longue haleine. Pour que certaines familles intègrent une vraie activité physique pendant le week-end, cela peut parfois prendre 18 mois à 2 ans. Nous devons faire face à des périodes d'échappement car les familles se sentent en échec quand l'IMC ne bouge pas. Il ne faut pas cesser de les accompagner. Le problème, c'est que notre système de santé n'est pas adapté pour un accompagnement pluridisciplinaire dans la durée. Nous regrettons par exemple que certains actes de diététiciens ne soient pas remboursés. Entretien avec Cécile Coumau |