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Décodage

Et si nous avions une identité bactérienne au même titre que la génétique ? 

Par Raphaëlle de Tappie

Des scientifiques ont commencé à cataloguer les gènes de tous les microbiomes humains. Pour l'heure, en étudiant les bactéries et virus de l’intestin et de la bouche de 3 655 personnes, ils ont décompté pas moins de 45 67 millions de gènes différents, dont la moitié d'entre eux sont uniques à chaque individu. 

ChrisChrisW/iStock

Après le Human Genome Project, le Universe of Microbial Genes. Amorcé en 1990 et achevé en 2003, le premier a permis de séquencer le génome humain dans son intégralité. Alors que l’on estimait l’information génétique humaine à 100 000 gènes, ce programme de grande ampleur a permis de déterminer que notre génome contient en fait entre 20 000 et 25 000 gènes codant pour des protéines. Aujourd’hui, des scientifiques américains s’attaquent au Universe of Microbial Genes, un projet tout aussi ambitieux, si ce n’est plus : ils ont commencé à cataloguer les gènes de tous les microbiomes humains. Dans un article paru le 14 août dans la revue Cell Host & Microbe, ils ont dévoilé leurs  premiers résultats. Chaque être humain aurait sa propre identité bactérienne !  

En étudiant les bactéries et virus de l’intestin et de la bouche de 3 655 personnes, des chercheurs de l’Université de Harvard et du Joslin Diabetes Center de Boston ont décompté pas moins de 45 67 millions de gènes différents. Plus intéressant encore : la moitié d’entre eux sont uniques à chaque individu  (11,8 millions de gènes du microbiome buccal et 12,6 millions du microbiome intestinal), expliquent-ils dans l’étude. Ainsi, à échelle mondiale, le nombre de gènes de l’ensemble des microbiomes humains pourrait être supérieur à celui du nombre d’étoiles de l’Univers visible, avancent-ils.

On estime que les communautés bactériennes contenues dans l’intestin, la peau ou les poumons d’un humain sont dix fois plus nombreuses que les cellules du corps. Qui plus est, "deux bactéries d'une même souche peuvent présenter des différences génétiques", expliquent les chercheurs.

Une évolution adaptative des bactéries ?

Alors qu’ils pensaient que ces mutations provenaient de transferts de gène horizontaux, ils ont constaté au cours de leur étude que moins de 2% des gènes uniques détectés chez les individus provenaient de ce processus. Ils envisagent donc plutôt une évolution adaptative. Ainsi, quand nous changeons d’alimentation ou prenons tel ou tel traitement, les bactéries de notre microbiome modifient leur ADN pour s’adapter à la modification de notre environnement. "C'est grâce à cette diversité génétique qu'un microbe devient par exemple résistant à un antibiotique", explique Braden Tierney, biologiste au Joslin Diabetes Center de Boston et auteur principal de l'étude.

"Dans l'ensemble, ces résultats fournissent des bases potentielles pour l'hétérogénéité inexpliquée observée dans les phénotypes humains dérivés de micro-organismes", concluent les chercheurs.  

Ainsi, cette entreprise est révolutionnaire dans le sens où elle montre que les études portant sur le microbiote doivent être repensées pour prendre en compte l’hétérogénéité des gènes. Désormais, déterminer le type de souche microbienne pour connaître ses effets ne suffit plus. Dorénavant, il faudra également étudier son patrimoine génétique, propre à chacun, expliquent les chercheurs. L’objectif ultime étant de pouvoir proposer des traitements sur mesure à chaque malade.

Le microbiote intestinal de plus en plus étudié

Depuis quelques temps, les scientifiques s’intéressent de plus en plus au microbiome. De nombreuses études ont notamment été réalisées sur le microbiote intestinal ou flore microbienne. Composé d’une multitude de micro-organismes situés dans le tube digestif, il compte environ 100 000 milliards de bactéries dont l’organisation très équilibrée contribue au bon fonctionnement du système digestif et du système immunitaire. 

Ainsi, ces dernières années, ces bactéries ont permis de mieux comprendre certaines maladies comme le diabète, l’obésité, Crohn ou la fibromyalgie

En 2014, en collaboration avec une équipe internationale, des chercheurs français ont réussi à analyser l’ensemble des gènes de ces bactéries. En étudiant 396 échantillons de selles, ils ont identifié 741 espèces bactériennes, dont 85% inconnues jusque-là. D’après leur papier paru dans la revue Nature Biotechnology, les scientifiques ont alors pu reconstituer le génome complet de 238 bactéries, sans culture préalable.