L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) vient de fêter au mois de mai ses 33 ans d’existence. C’est dire si la question de l’euthanasie est un débat lancinant dans l’Hexagone. Avis, rapports, commissions et propositions de loi se sont multipliés sans jamais parvenir à réconcilier partisans et opposants autour d’une position commune. A la demande de François Hollande, le Comité consultatif national d’éthique a rendu public ce matin un avis dans lequel il préconise d’instaurer un droit à la sédation continue (endormissement profond) jusqu’au décès mais reste majoritairement opposé à la légalisation d’une assistance médicale au suicide.
Retour sur une décennie de lois et de cas particuliers emblématiques qui ont polarisé le débat français sur la fin de vie autour de cette question du pour ou contre l’euthanasie.
2003 : Vincent Humbert demande le droit de mourir
Devenu tétraplégique à la suite d’un accident de voiture, Vincent Humbert avait écrit directement à Jacques Chirac pour lui demander le droit de mourir. Faute de réponse présidentielle, Marie Humbert abrège les souffrances de son fils en septembre 2003 avec l’aide de son médecin, le Dr Frédéric Chaussoy. Tous les deux mis en examen pour « administration de substances toxiques » et « empoisonnement avec préméditation », ils médiatisent leur geste, affrontent la justice et finiront par obtenir un non-lieu en 2006.
Entre temps, l’émotion suscitée par la mort de Vincent Humbert pousse Jacques Chirac à confier au cardiologue et député UMP d’Antibes Jean Leonetti une mission parlementaire sur l’accompagnement de la fin de vie.
2005 : La loi Leonetti interdit l’acharnement thérapeutique
Du rapport de cette mission parlementaire nait la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative au droit des malades et à la fin de vie. Elle proscrit tout acharnement médical ou « obstination thérapeutique » et instaure le droit au « laisser mourir » quand les patients refusent la poursuite des traitements ou l’ont écrit dans leurs « directives anticipées ».
Le médecin peut également prendre le risque du « double effet », c'est-à-dire d’abréger la vie du patient en lui administrant, avec son accord ou celui de sa personne de confiance, les traitements destinés à le soulager de la douleur. Adoptée à l’unanimité par les parlementaires, la loi Leonetti ne franchit pas la barrière du geste intentionnel qui donnerait la mort et condamne l’injection délibérée d’un produit létal, autrement dit l’euthanasie active, alors déjà autorisée en Belgique et aux Pays-Bas.
2008 : Le suicide de Chantal Sébire plaide pour l’exception d’euthanasie
Atteinte d’une tumeur incurable des sinus lui déformant le visage, Chantal Sébire demande à la justice « d’autoriser l’un de ses médecins à se faire délivrer et à lui remettre les substances nécessaires à une fin de vie digne et sereine ». En contradiction avec la loi Leonetti, la requête de suicide assisté de cette enseignante de 52 ans est rejetée le 17 mars 2008 par le tribunal de Dijon. Chantal Sébire met donc fin à ses jours par elle-même en ingérant des barbituriques deux jours plus tard. Plusieurs personnalités médicales ou politiques plaident alors pour l’instauration dans la loi d’une « exception d’euthanasie » pour les personnes atteintes de maladies incurables sans être en phase terminale, une position déjà prônée par le Comité d’éthique en mars 2000.
La mission d’évaluation de la loi sur la fin de vie écarte finalement toute légalisation d’une aide à mourir mais instaure un Observatoire des pratiques de la fin de vie pour avoir un aperçu chiffré de ces pratiques généralement peu ébruitées par le corps médical.
2012 : François Hollande s’engage
Alors que le débat sur la fin de vie n’avait pas alimenté la campagne présidentielle en 2007, le candidat socialiste en fait le 21e de ses 60 engagements pour la France. « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
Dès juillet 2012, le nouveau président consacre son premier déplacement dans un établissement de santé au thème de la fin de vie. Il confie à l’ancien président du Comité d’éthique Didier Sicard le soin de « recueillir l’avis de la société » lors de débats publics sur la nécessité d’aller plus loin que la loi Leonetti en autorisant une forme active d’euthanasie.
2013 : Une porte s’ouvre vers la sédation terminale
Remis à François Hollande fin décembre 2012, le rapport de la mission Sicard écarte fermement l’euthanasie active et reste réservé sur l’assistance médicale au suicide. En revanche, la mission plaide pour un plus grand recours à la sédation terminale : « lorsque la personne en fin de vie demande expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie, voire toute alimentation et hydratation, il serait cruel de la « laisser mourir » ou « laisser vivre » sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort », écrit Didier Sicard dans son rapport.
En février, pour la première fois, le Conseil de l’Ordre des médecins se montre favorable à cette assistance médicalisée en fin de vie à condition qu’elle « relève d’un collège médical et non d’un médecin qui agirait seul ». L’Ordre publie également un sondage éclairant l’ampleur du cas de conscience que poserait une participation médicale active à la fin de vie. 94% des médecins interrogés souhaitent pouvoir invoquer une clause de conscience s’ils devaient être partie prenante dans un suicide assisté.
Dans l’avis rendu public ce matin, le Comité d’éthique préfère la notion de sédation continue jusqu’à la mort plutôt que sédation terminale pour ne pas laisser penser que cette injection de sédatif a pour but de hâter la survenue du décès. Mais à cette nuance sémantique près, les membres du Comité d’éthique rejoignent la position de Didier Sicard, leur ancien président. Ils plaident également pour que les directives anticipées instaurées par la loi Léonetti deviennent opposables pour mieux faire entendre et respecter jusqu’au bout la volonté des patients. Enfin, ils appellent de leurs vœux la tenue d’Etats généraux ou de débats citoyens qui permettent aux Français de donner leur avis sur ces sujets qui les concernent autant que les experts, médecins, juristes et parlementaires qui en débattent depuis si longtemps.
François Hollande a annoncé qu'il souhaitait que ces débats publics aient lieu à l'automne et qu'un projet de loi serait présenté au Parlement « sans doute à la fin de l'année » pour tenir la promesse de campagne du candidat Hollande et « aller plus loin » que la Loi Léonetti.