En Grande-Bretagne, "une clinique de la toux" sur Internet permet aux patients de disposer d'un premier diagnostic. Sans tomber dans la consultation à distance, ce site fait débat.
« Toussez et dites 33, Internet vous écoute. » Pour faciliter le travail des médecins généralistes, une équipe britannique a développé "une clinique de la toux" virtuelle, uniquement sur le web. L'idée de départ est simple : la toux est l'un des motifs de consultation les plus fréquents en médecine générale et « une toux chronique engendre en moyenne six à huit consultations, le plus souvent sans succès », souligne le Pr Alyn Morice, à l'origine de la « cough clinic ». Le diagnostic étiologique étant particulièrement difficile à poser, les chercheurs britanniques ont eu l'idée de mettre au point un site permettant de préparer la consultation. A priori, cette initiative unique en son genre pourrait faire tousser les médecins. Internet en lieu et place du colloque singulier, c'est évidemment contre tous les principes déontologiques. Mais la « cough clinic » ne se substitue pas au médecin. Son fonctionnement en témoigne. Les patients sont tout d'abord invités à remplir un questionnaire standardisé de trois pages où symptômes et antécédents sont passés au peigne fin. Pour être retenus, les patients doivent montrer patte blanche. Autrement dit, être majeur, ne pas avoir de sang dans leurs expectorations et présenter une radiographie thoracique normale de moins d'un an. Les réponses sont ensuite envoyées à un serveur qui aura la tâche de proposer le diagnostic le plus plausible : RGO, asthme ou rhinite.
L'intelligence de ce serveur vient d'un algorithme élaboré par des experts. Ensuite, le patient reçoit une lettre lui indiquant le diagnostic probable, mais aussi la prise en charge recommandée par la Société européenne de pneumologie (ERS). Charge à lui de prendre ensuite rendez-vous avec son médecin traitant et de lui remettre cette lettre. Economiser du temps médical « Je ne vois rien de choquant là-dedans parce que les garanties de sérieux existent, estime le Dr Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom). Le fait que le National Health service soit partenaire du site et que les recommandations soient celles de l'ERS est rassurant. » Par ailleurs, la ligne jaune n'est pas franchie puisque ce site est bien conçu comme un préalable à la consultation, ce qui permet d'économiser du temps médical. « Pour toutes les pathologies chroniques mais pour les symptômes récurrents comme la toux, les patients ont souvent pris de nombreux traitements et ont subi plusieurs examens, explique le Dr Lucas. Il est pratiquement impossible de reconstituer cette histoire au cours d'une consultation. »
Les résultats de l'évaluation de la « cough clinic », présentés lors du dernier congrès de l'ERS, vont dans ce sens. Quelque 60% des patients considèrent que ce site les a aidés à mieux communiquer avec leur médecin traitant et 62% ont pris le traitement recommandé. La « cough clinic » fait en réalité écho aux préconisations de l'Ordre sur la médecine à distance, qui doivent être rendues publiques fin novembre. Pour le Cnom, si le télé-diagnostic n'est pas à bannir, il doit, en revanche, respecter un certain nombre de conditions : l'acte médical doit être réalisé par un professionnel qualifié, valorisé financièrement, le matériel technique doit faire l'objet d'une homologation, le transfert de données totalement sécurisé… « Et nous affirmons que la médecine à distance doit s'appuyer sur des protocoles spécifiques », ajoute le vice-président de l'Ordre. Quant à la télé-prescription, le Cnom y travaille aussi. Inutile donc de lutter à contre-courant et de condamner l'utilisation d'Internet. « De toute façon, des algorithmes décisionnels sur Internet pour aider les patients à s'informer, voire à avancer dans leur diagnostic, c'est inévitable, concède le Pr Etienne Lemarié, président de la Société de pneumologie de langue française. Mais pour ce dernier, il faut fixer des limites. « Aboutir à un diagnostic clé en main pour le patient, cela me semble dangereux. Ces systèmes doivent rester des aides pour le médecin. » Et ce coup de main s'appelle parfois tout simplement Google. Une étude australienne a récemment démontré qu'en faisant une recherche à partir des symptômes, Google apportait le bon diagnostic sur un plateau dans 58% des cas. A titre de comparaison, des études réalisées à partir d'autopsies mettent en évidence un taux d'erreur de diagnostic de l'ordre de 20%.
Questions au Pr Etienne Lemarié, président de la Société de pneumologie de langue française
A utiliser avec précaution
Que pensez-vous de ce site Internet sur la toux ? Pr Etienne Lemarié. Je pense qu'un pré-diagnostic peut être utile. Tout le problème est de savoir jusqu'où l'on va. Il est clair que certaines données d'interrogatoire peuvent être obtenues par un questionnaire bien fait sur Internet. Et cela peut tout à fait précéder une consultation. Au moins, vous avez un interrogatoire fiable et complet. Et vous gagnez du temps purement médical. Ce qui m'ennuie davantage, c'est l'algorithme décisionnel, parce qu'en réalité, il indique au médecin généraliste la conduite à tenir. Sans vouloir faire du syndicalisme, je trouve que c'est aller un peu loin.
Quels dangers cela présente-t-il ? Pr E. L. Les risques, ce sont tout simplement des diagnostics erronés ou des retards de diagnostic. Quand on voit des toux en consultation de pneumologie, ce sont généralement des histoires embêtantes. Bien souvent, les médecins traitants ont fait tout une série d'examens et ils n'ont rien trouvé. En fait, cette initiative me fait penser à ce que l'on appelle les systèmes experts : vous rentrez toutes les données, vous appuyez sur un bouton et on vous donne le diagnostic. On en est revenu de ces systèmes parce qu'il existe quand même des ratés. Autant je suis pour le recueil de données, autant l'analyse décisionnelle doit être maniée avec précaution.