La trisomie 21 est la plus fréquente des anomalies chromosomiques. Son dépistage précoce, dès le 1er trimestre de grossesse, démarre timidement à Paris.
L'accouchement a été long et douloureux. « Il a fallu attendre 17 ans pour que le dépistage précoce de la trisomie 21 soit lancé », souffle le Pr Yves Ville, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Necker. Mais, ça y est. Depuis le 1er octobre, l'Institut de puériculture de Paris pratique des tests sanguins de dépistage de la trisomie 21 dès le premier trimestre de grossesse, dans sa structure pilote Prima facie. « Les décrets autorisant le remboursement de ces tests ne sont toujours pas sortis, mais nous nous sommes lancés », avoue le Pr Ville, lassé par les années d'attente. Pour le moment, c'est le seul centre public dans ce cas. Pourtant, la méthode a fait ses preuves. Chez nos voisins européens comme au Danemark ou encore à l'hôpital américain de Neuilly qui le pratique déjà. Il y a plus d'un an et demi, la Haute autorité de santé avait d'ailleurs recommandé d'adopter cette nouvelle stratégie de dépistage de la trisomie 21. La technique est simple : ce dépistage combiné, entre la 11e et la 13e semaine d'aménorrhée, associe la mesure de la clarté nucale lors de la 1re échographie foetale et le dosage des marqueurs sériques du 1er trimestre (PAPP-A et fraction libre de la β-hCG). Et les avantages sont multiples : ce test précoce permet « de diagnostiquer 37 % de trisomie 21 de plus que le dépistage par les marqueurs sériques du 2e trimestre », selon la HAS. Par ailleurs, si une interruption de grossesse était souhaitée, elle se révèlerait moins traumatisante psychologiquement et physiquement étant donnée le stade de la grossesse. « Nous pouvons aussi dépister d'autres risques comme celui de prééclampsie ou de prématurité », insiste le Pr Ville.
Trois fois moins d'amniocentèses Dernier avantage et non des moindres, la baisse du nombre d'amniocentèses. Une étude menée sur 22 000 femmes dans les Yvelines a permis de diviser par trois le nombre de prélèvements. De même, à l'hôpital américain, le taux d'amniocentèses est passé de 15 % à moins de 10 %. Or, la France fait figure de mauvais élève en la matière, avec 11 % d'amniocentèses. En Grande-Bretagne ou en Suède, il n'est que de 3,5 %. Alors pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour le mettre en place ? Le premier obstacle est réglementaire. Les décrets de 1995 imposent de proposer le dépistage entre la 14e et la 17e semaine. Deuxième difficulté : « Le bon vieux scepticisme français ». « Nous avons dû mener une étude dans les Yvelines entre 2001 et 2003 pour valider cette technique alors qu'au niveau international, toutes les preuves étaient déjà là », explique le Pr Ville. Par ailleurs, les échographistes devaient être prêts. Un programme de formation et d'évaluation de ces professionnels dans le domaine de la mesure de la clarté nucale a donc encore fait prendre du retard. Certains continuent cependant à montrer agacement et insatisfaction. Le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) considère en effet que nous ne sommes pas sur la bonne voie. « Il faut absolument débloquer les travaux de validation du procédé Iset qui permet de faire un diagnostic prénatal et d'éviter les amnioscentèses », s'insurge Gilles Gaebel, porte-parole du Ciane. L'Agence nationale de la recherche aurait octroyé 600 000 euros pour mener à bien ces travaux mais ils seraient toujours bloqués à cause d'une interminable bataille sur les droits d'exploitation du brevet entre l'Inserm et la société Métagenex. Pour certains spécialistes, si cette technique d'isolement des cellules foetales dans le sang maternel ne s'est pas encore développée, c'est tout simplement parce qu'elle n'est pas encore au point. La tendance actuelle est en effet plutôt de se concentrer sur des fragments d'ADN que sur des cellules entières. Une équipe américaine l'a récemment testée avec succès sur 18 femmes enceintes. Mais, cela fait dix ans que cette technique est connue. Les publications se succèdent, mais le complexité du procédé empêche encore de passer à la phase industrielle.
Questions au Dr François Jacquemard, coordonateur du centre de dépistage prénatal de l'hôpital américain
Une technique nettement plus fiable
Quels sont les avantages de la technique que vous avez mis en place ? Dr François Jacquemard : Tout d'abord, le dépistage combiné associant la mesure de la clarté nucale et le dosage des marqueurs sériques du 1er trimestre est plus fiable. Le taux de dépistage de trisomie 21 passe au-dessus de 90 % (contre 75 % au 2e trimestre, NDLR). Ensuite, nous avons tous les avantages de la précocité. Ce qui fait que la majorité des mamans peuvent vivre leur grossesse d'une manière plutôt sereine. Nous pouvons très rapidement leur dire s'il y a une anomalie. Ce qui est beaucoup moins lourd d'un point de vue psychologique et médical. Et concrètement, au lieu d'avoir un taux d'interruptions médicales de grossesse de l'ordre de 20 % lors du premier trimestre, nous sommes aux alentours de 50 %. Or, toutes les études ont démontré que plus la morbidité de l'IMG augmentait, plus on se rapprochait du terme. Enfin, nous avons fait baisser le taux d'amniocentèses, puisqu'il est passé de 15 % à moins de 10 %.
Pourquoi a-t-on tant attendu pour mettre en place ce dépistage ? Dr F.J. C'est parce qu'en France, au nom du principe de l'égalité des soins, on ne modifie les pratiques que quand cela peut être appliqué de la même manière sur l'ensemble du territoire. Le revers de la médaille, c'est que l'uniformisation des pratiques prend beaucoup de temps. En l'occurrence, nous attendons encore les décrets assurant le remboursement de ces actes. Le fait que nous nous soyons lancés il y a 18 mois et que Necker s'y mette pousse dans le bon sens.
N'y a-t-il pas un risque qu'une femme porte plainte pour perte de chance ? Dr F.J. Je ne sais pas, mais au ministère de la Santé, on commence à se dire que l'on pourrait leur reprocher de trop tarder à mettre en place ce dépistage précoce, dans la mesure où il fait baisser le nombre d'amniocentèses et donc de fausses couches. Si un jour, une femme ayant un trisomique 21 demande pourquoi elle n'a pas eu droit à un dépistage combiné du 1er trimestre, alors que c'est la technique la plus fiable et qu'elle est recommandée par la HAS depuis 18 mois, il va falloir se justifier. Entretien avec C.C.
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