Pour "répondre aux besoins sans cesse croissants de connectivité et d’accroître la compétitivité des pays de l’Union européenne", la 5G sera déployée commercialement à partir de 2020 en France et dans de nombreux pays européens. Mais beaucoup de questions se posent quant au rayonnement magnétique lié à cette nouvelle technologie. Le Collectif Stop Linky-5G Montpellier a notamment publié une pétition, signée par plus de 16 000 personnes, pour réclamer "l’arrêt immédiat de toute expérimentation concernant la 5G". Les auteurs rappellent entre autres que plus de 170 scientifiques de 37 pays différents ont signé un appel pour un moratoire sur le développement de ces technologies. Leur argument : de nombreuses études auraient prouvé que les ondes électromagnétiques sont nocives pour l'homme. Pourtant, d’après deux scientifiques spécialistes du sujet et interrogés par Pourquoi Docteur, cette inquiétude est "infondée".
"Je ne vois pas trop le danger supplémentaire pour la santé que pourrait représenter la 5G par rapport à ce qu’on a déjà actuellement. Elle va très certainement se superposer à ce qui existe déjà. On va donc avoir une augmentation de l’exposition actuelle mais celle-ci est tellement basse qu’on restera encore largement en-dessous des normes autorisées par la loi", rassure Yves Le Dréan, chercheur pour l’Inserm dans l’unité Irset (Institut de Recherche en Santé, Environnement et Travail) de l’Université de Rennes. En France, les valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques sont comprises entre 28 volt par mètre et 87 V/m. Actuellement, moins de 1% des mesures dépassent la valeur dite d'attention de 6 V/m.
"On est très peu à grimper en haut des antennes"
"Il existe des seuils qui ont été définis au-delà desquels les ondes électromagnétiques peuvent poser des problèmes et on le sait. Si vous dépassez un certain seuil d’exposition en fonction de la fréquence de l’onde, vous pouvez subir des effets thermiques", renchérit Sébastien Point, physicien, président de la section rayonnements non ionisants de la société française de radioprotection et membre de l'Association française pour l'information scientifique.
Mais "en aucun cas cela ne peut arriver à cause des appareils du quotidien", tranche-t-il. Les seules personnes qui pourraient être impactées sont les antennistes ou les radaristes dans le cas très rare où ils interviendraient quand des émissions sont en cours. "Ces gens-là peuvent être exposés à des niveaux de champs extrêmement importants mais ce n’est pas ce que rencontre le commun des mortels. On est très peu à grimper en haut des antennes", ironise-t-il.
Et de mettre en doute les "milliers d’études" mises en avant par la pétition et le moratoire. "Certaines mettent en évidence des effets mais on ne peut rien conclure à partir d’études prises isolément. Il faut se baser sur des méta-analyses. Sur les 10 000 études citées, combien ont été répliquées ? Une étude, si elle est mauvaise, ne prouve rien du tout. Il faut pouvoir les comparer, vérifier leur puissance statistique et l’absence de biais". "Si on veut démontrer quelque chose on y arrivera toujours. Exposez une cellule humaine ou animale à des ondes d'intensité extrêmement élevées, vous allez observer des mécanismes de défense de la cellule ou de dégradation", insiste Sébastien Point.
"Un domaine qui requiert des compétences en biologie et en électronique"
Un avis partagé par Yves Le Dréan. "Il y a beaucoup de biais méthodologiques qui peuvent laisser penser qu’il y a un effet (des ondes sur la santé humaine, NDLR) alors que ce domaine-là est particulier car il requiert une double compétence, en biologie et électronique. Or on voit des équipes compétentes en biologie mais pas du tout en électronique mener des études sur le sujet. Elles voient donc la biologie bouger mais ne savent pas si c’est dû aux ondes ou à l’effet micro-ondes de leur système d’exposition pas du tout contrôlé. A l’inverse, il y a études menées par des physiciens où l’exposition est bien contrôlée mais pas la biologie. Mais ces papiers-là peuvent être publiés quand même, selon que la revue est spécialisée dans la biologie ou l’électronique", détaille-t-il.
A cela s’ajoute que la plupart des effets identifiés sont de très faibles ampleurs et très difficilement reproductibles. Il arrive également qu’ils semble davantage dépendre du modèle biologique que de l’exposition. "C’est sans doute cela qui m’a choqué le plus quand j’ai commencé à travailler sur ce thème", se souvient Yves Le Dréan. "L’appel à la prudence sur la 5G est basé sur des personnes qui ne font pas des analyses qualitatives, ils prennent tout en bloc en disant : "C’est pure vérité, c’est comme ça et on a prouvé que c’est dangereux", mais ce n’est pas du tout le cas".
"Les certitudes scientifiques de ceux qui travaillent réellement sur ce sujet sont extrêmement fragiles", complète-il, avant d’admettre : "Ça explique un peu la polémique. On arrête pas de nous demander de répondre par oui ou non à la question "Est-ce que les ondes sont dangereuses ?", mais on ne peut pas, car nous-mêmes au labo avons des résultats parfois contradictoires. C’est très compliqué et frustrant ".
Pas d'addition des ondes
D’après la pétition, la 5G n’étant efficace que sur des courtes distances, elle nécessitera le déploiement d’un réseau très dense de petites antennes. De nombreuses personnes craignent donc une multiplication des ondes. "Par rapport aux technologies précédentes, la fréquence est un peu plus élevée, 3,5 Giga Hertz. Comme on monte en fréquence, la portée des ondes est moins importante. Elle chemine moins loin et nécessite donc un réseau d’antennes plus important. Par ailleurs, les ondes pénètrent moins profondément dans l’organisme. Ainsi, les ondes 5G seraient moins dangereuses que les autres, même si celles-ci ne l’étaient pas non plus", commente Sébastien Point.
"Dans cette gamme de fréquence, l’énergie transportée unitairement par chaque photon, associé à l’onde, est insuffisante pour casser les liaisons atomiques ou moléculaires des cellules. Il faut réfléchir à l’énergie totale transportée par l’onde et cette dernière est proportionnelle au champ électrique. Pour que la puissance de deux ondes puisse s’accumuler, il faut que les champs électriques s’additionnent. Et pour cela il faudrait qu’ils soient en phase. Or cela n’arrive jamais sauf de manière très sporadique et accidentelle. C’est très aléatoire. Aussi, d’un point de vue général, les ondes ne s’additionnent pas car elles sont complètement déphasées les unes des autres. L’augmentation du nombre d’antennes ne va donc pas entraîner une accumulation des puissances", poursuit le physicien. Quant à une possible accumulation temporelle des effets, encore faudrait-il qu’il y ait des effets, assure-t-il.
Ainsi donc, pas d’inquiétude à avoir sur les ondes électromagnétiques, assurent les chercheurs. "Cela fait plusieurs années que je travaille au niveau moléculaire et cellulaire pour voir si l’exposition cause un stress au niveau des cellules et la réponse est clairement non", insiste Yves Le Dréan.
"Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien du tout. On a vu des petites choses, mais très légères. Ce qu’on ne sait pas, à l’heure actuelle, c’est si c’est de l’ordre du bruit de fond, auquel cas on s’excite sur pas grand-chose, ou si à très long terme cela pourra amener un petit déséquilibre. Et là, peut-être qu’après 20 ans ou 30 ans d’exposition on pourra peut-être voir apparaître quelque chose", poursuit-il, déplorant l’absence de temps dont disposent les scientifiques, souvent sommés de rendre des résultats dans l’urgence. Et de conclure : "Il ne faut pas oublier que le vivant a une résilience qui nous permet de retrouver un certain équilibre au niveau de l’organisme, même soumis à des conditions qui peuvent être perturbantes pour les machines chimiques que nous sommes".