Il a déjà été prouvé qu’avoir des soucis financiers avait un impact sur la santé mentale et même sur le corps. Mais il semblerait que l’impact soit encore plus important chez les jeunes. Selon une étude publiée le 2 octobre dans la revue Neurology, le journal médical de l’Académie américaine de Neurologie, les jeunes adultes qui subissent plusieurs baisses annuelles de 25% ou plus de leurs revenus ont davantage de risques de souffrir de troubles de la pensée et d’une santé cérébrale réduite à l’âge moyen.
Pendant 20 ans, une équipe de chercheurs internationale a suivi 3 287 personnes vivant aux Etats-Unis, âgées de 23 à 35 ans inscrites à l'étude CARDIA (Coronary Artery Risk Development in Young Adults), qui comprend une population très diversifiée. De 1990 à 2010, les participants ont dû déclarer le revenu annuel avant impôt de leur ménage tous les trois à cinq ans (les chiffres exacts n’ayant jamais été vérifiés, cette auto-estimation peut être considéré comme une limite à l’étude).
Sur la bonne foi des participants, les scientifiques ont alors examiné la fréquence à laquelle le revenu diminuait ainsi que le pourcentage de variation de ce dernier entre 1990 et 2010 pour chaque personne. Les volontaires ont alors été départagés en trois groupes : ceux qui n’ont pas connu de baisse de revenus (1 780), ceux qui ont subi une baisse de 25 % (1 108) ou plus par rapport au revenu déclaré précédemment, et ceux qui ont souffert de deux baisses ou plus (399). Dans le même temps, ils ont subi des tests de réflexion et de mémoire.
Les chercheurs ont ainsi pu constater que les personnes ayant connu deux baisses de revenus ou plus avaient de moins bons résultats dans l’exécution des tâches que les autres. En moyenne, elles ont obtenu une note inférieure de 3,74 points ou 2,8%. "À titre de référence, cette piètre performance est supérieure à ce que l'on observe normalement en raison d'une année de vieillissement, ce qui équivaut à une dégradation de seulement 0,71 point en moyenne, soit 0,53 % ", explique Leslie Grasset, du Centre de recherche Inserm à Bordeaux, France, auteure de l’étude.
Moins de connexions entre les différentes régions du cerveau
Qui plus est, les participants dont les revenus avaient le plus chuté ont également obtenu de plus mauvais résultats en termes de temps nécessaire à l’accomplissement de certaines tâches. Et ce, même après ajustement pour tenir compte d’autres facteurs susceptibles d’impacter la capacité de raisonnement comme l'hypertension artérielle, le niveau de scolarité, l'activité physique ou encore le tabagisme.
Enfin, en comparant le volume cérébral total et de diverses régions du cerveau de 707 participants au début de l’étude et 20 ans plus tard, les chercheurs ont constaté une connectivité réduite chez ceux qui avaient subi deux baisses de revenus. Il y avait donc moins de connexions entre les différentes régions du cerveau.
"Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi un revenu instable peut avoir une influence sur la santé du cerveau, notamment le fait que les personnes dont le revenu est faible ou instable peuvent avoir un accès réduit à des soins de santé de haute qualité, ce qui peut entraîner une mauvaise gestion de maladies comme le diabète ou des comportements malsains comme le tabagisme et l'alcoolisme", explique Mme Grasset.
"La volatilité des revenus est à un niveau record depuis les années 1980"
"Bien que notre étude ne prouve pas que les baisses de revenu entraînent une diminution de la santé du cerveau, elle renforce la nécessité de mener d'autres études sur le rôle que jouent les facteurs sociaux et financiers dans le vieillissement du cerveau. Il est possible que l'amélioration de la stabilité du revenu puisse jouer un rôle bénéfique dans la santé du cerveau, et il existe des options politiques simples pour réduire la volatilité du revenu, telles que l'assurance chômage et l'assurance salaire à court terme", poursuit-elle.
"La volatilité des revenus est à un niveau record depuis les années 1980 et il est de plus en plus évident qu'elle peut avoir des effets généralisés sur la santé, mais les politiques visant à atténuer les variations imprévisibles des revenus sont affaiblies aux États-Unis et dans de nombreux autres pays", ajoute-elle encore, rappelant que l’étude a suivi des personnes vivant aux Etats-Unis pendant la récession à la fin des années 2000 où de nombreux Américains ont connu l’instabilité économique. "Nos résultats prouvent qu'une plus grande volatilité du revenu et des baisses de revenu plus importantes durant les années où les revenus sont les plus élevés sont liées à un vieillissement cérébral malsain chez les personnes d'âge moyen", conclut-elle.
En 2016, une étude également menée aux Etats-Unis avait déjà prouvé que les personnes confrontées à des difficultés financières seraient plus sujettes aux douleurs physiques. En comparant les achats d’antalgiques de 33 720 ménages, les chercheurs sont parvenus à mettre en évidence une surconsommation de ces produits de 20% chez ceux dont les deux adultes étaient au chômage, par rapport à ceux dont au moins l’un des deux travaillait.
En étudiant l’impact de l’incertitude professionnelle (zone d’habitation en berne économiquement, risques de licenciement) sur la résistance à la douleur, en calculant le temps pendant lequel les sujets pouvaient garder leurs mains plongées dans un seau d’eau glacée, ils ont mis en lumière un lien entre le sentiment d’insécurité financière, la peur d’un avenir incertain qui en découle, et la douleur.