"C'est la première fois que je sens ma jambe, mon pied". Grâce à un prototype munis de capteurs et relié au système nerveux, mis au point par des chercheurs de l'université ETH Zurich, en Suisse, et la start-up SensArs Neuroprosthetics, des personnes amputées au-dessus du genou ont pu retrouver la sensibilité du membre perdu, leur permettant entre autre de faire la différence entre une marche sur du goudron ou dans le sable. Les résultats de cette étude sont parus le 2 octobre dans la revue Science Translation Medicine.
C’est grâce à une semelle sensorielle placée sous le pied prothétique, ainsi que des capteurs situés dans le genou, que cette prothèse est si spéciale. Les signaux envoyés sont traduits par l’appareil en impulsions électriques, le langage du système nerveux humain. Des électrodes minuscules, implantés dans le nerf, les conduisent ensuite vers le périphérique résiduel. Les signaux des nerfs résiduels sont alors transmis au cerveau, permettant au patient de percevoir ce qui se passe sur et sous la prothèse. Il peut ainsi sentir les obstacles et éviter les chutes.
Ainsi, contrairement à celles qui sont équipées d'une prothèse classique, les personnes amputées n’ont plus besoin de réfléchir à leur mouvement quand elles marchent ni à sur-solliciter la jambe valide. Autre avantage notable de nouveau prototype : ce dernier réduit la "douleur du membre fantôme" des patients. Ce terme qualifie les douleurs ressenties comme provenant d’un membre amputé. Elles ont lieu quand les neurones de la zone d’amputation conduisent à envoyer des messages de douleur au cerveau.
Augmentation de l’endurance
"C'est la première fois que je sens ma jambe, mon pied", témoigne Djurica Resanovic, l'un des deux volontaires ayant participé à l’étude qui a duré trois mois. Lors des essais, les yeux bandés et les oreilles bouchées par des boules Quies, il a été capable de dire où son pied était touché par une autre personne et à quel degré le genou était fléchi.
"L'utilisation de cette prothèse a amélioré la qualité de leur marche et augmenté leur endurance, à la fois en laboratoire et dans un environnement réel", notent les chercheurs en référence aux volontaires.
En 2015, des chercheurs autrichiens avaient obtenu un résultat similaire chez une personne amputée sous le genou. Mais c’est la première fois qu’une telle prothèse est mise en place pour un membre inférieur amputée au-dessus du genou, précisent les scientifiques. "Nous avons développé la première jambe avec des sensations destinées aux invalides importants, amputés au-dessus du genou, qui permet de surmonter des obstacles inattendus sans tomber, ou de monter des escaliers très rapidement. Ces deux tâches sont extrêmement difficiles, voire impossibles, pour les amputés qui portent des prothèses commerciales", se félicite Stanisa Raspopovic, professeur à l’ETH Zurich.
Un essai clinique sur quatre ans est prévu
"Nous développons la technologie de rétroaction sensorielle pour augmenter les dispositifs prothétiques", explique quant à lui Francesco Petrini, PDG et cofondateur de SensArs Neuroprosthetics. "Une investigation de plus de 3 mois, avec plus de sujets, et avec une évaluation à domicile, devrait être effectuée pour fournir des données plus robustes afin de tirer des conclusions cliniquement significatives sur une amélioration de la santé et de la qualité de vie des patients", conclut-il. C’est pourquoi, les chercheurs viennent de lancer un essai clinique sur quatre ans pour implanter leur prothèse à "un nombre significatif de patients" et suivre ces derniers sur une plus longue durée.
A l’heure actuelle, de nombreux travaux sont menés afin d’essayer de faciliter le quotidien des personnes amputées, que ce soit pour diminuer leur douleur ou les aider à retrouver des sensations perdues. Il y a quelques mois, des chercheurs français du CNRS et d’Aix-Marseille Université ont annoncé avoir réussi à mettre au point une prothèse de bras capable de détecter les mouvements du membre fantôme.
Puis, en septembre, des scientifiques américains ont révélé avoir fabriqué un gant électronique, à porter au-dessus d’une main prothétique, capable de procurer une douceur, une chaleur, une apparence et une perception sensorielle semblables à celle du membre humain.