Un coeur mécanique, fiable et entièrement implanté dans la cage thoracique ? Depuis vingt ans, le Pr Alain Carpentier, directeur du Laboratoire d'études des greffes et prothèses cardiaques de l'hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) tente de relever le défi. Il touche peut-être au but. L'inventeur des bioprothèses valvulaires (prix Lasker 2007) a présenté récemment un prototype de coeur artificiel. Il a été réalisé avec le concours d'une équipe d'ingénieurs d'EADS, réunie au sein de CARMAT, une start up créée spécialement. Posé sur une table, le modèle a la forme d'un coeur humain. Il palpite au rythme de 90 pulsations par minute. Et sur les écrans de contrôle, s'affichent les courbes systole diastole propres à notre électrocardiogramme. C'est la spécificité de ce modèle unique au monde. « J'ai pris comme modèle le coeur humain, et j'ai essayé de reproduire à l'aide d'algorythmes la compression cardiaque, explique le Pr Alain Carpentier. Et mon premier choix a été d'avoir deux ventricules comme chez l'homme, équipés chacun d'une motopompe ». Le second choix technologique fut de concevoir des matériaux biosynthétiques afin de résoudre les problèmes de biocompatibilité. Cet organe artificiel est également équipé de capteurs dernier cri, issus des laboratoires qui développent les missiles. « Ils permettent d'adapter automatiquement et rapidement le fonctionnement de la machine au patient, explique Patrick Coulombier, qui dirige l'équipe d'ingénieurs au sein de CARMAT. « Les méthodes que nous avons utilisées sont identiques à celles d'un avion ou d'un satellite, précise-t-il. Un coeur enfermé dans une cage thoracique, c'est comme du matériel embarqué dans une fusée. » Et comme pour les fusées, les chercheurs de Carmat, ont testé au scanner l'usure et la fiabilité des composants. Le fonctionnement global a été simulé par ordinateur. « Le modèle que vous avez vu, a été fabriqué en 2004, explique Patrick Coulombier. Il pèse 1, 2 kg, et a un volume d'un litre. Cet essai a été amélioré, nous avons réduit son poids à 900 grammes et son volume à 0, 75 litre, ce qui va permettre de l'implanter chez l'homme. »
Mais avant cela, la société CARMAT doit se lancer dans la fabrication de plusieurs modèles afin de mener les premiers essais cliniques. Cela nécessite des financements. La start-up dispose aujourd'hui de 7, 25 millions d'euros (EADS, Truffle capital, Fondation Carpentier). OSEO, établissement public d'investissement, lui a attribué récemment 33 millions de subventions. Or, le projet est estimé en 2008 à une centaine de millions d'euros. Des précédents malheureux C'est peut-être pour cela que les concepteurs sont, selon plusieurs spécialistes, très optimistes sur les délais. « Nous pensons conduire les premiers essais cliniques d'ici deux à trois ans, estime Patrick Coulombier. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a déjà été contactée. « Comme il s'agit d'un produit très innovant, et qu'il y a un fort enjeu de santé publique, il est important d'anticiper ce dossier, confirme Jean-Claude Ghislain, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux.
L'attente est forte chez les insuffisants cardiaques au stade sévère. 750 Français ont fait une demande de greffes à l'Agence de biomédecine en 2007. 366 ont pu être greffés. Dans le monde, 10 millions de malades souffrent d'insuffisance cardiaque grave. « Mais, il ne faut pas donner de faux espoirs aux patients », tempère Jean-Claude Ghislain. De précédents coeurs articificiels ont suscité de faux espoirs, comme le Jarvik 7 conçu dans les années 80. En 2001, la firme Abiomed recevait l'autorisation de la Food and Drug Administration (FDA) d'utiliser une vingtaine de c½urs artificiels AbioCor, d'un nouveau genre, plus petits et fonctionnels que le Jarvik 7. Au bout de douze implantations, la firme a jeté l'éponge : les malades opérés sont confrontés, malgré les promesses initiales, à des complications thromboemboliques, à des hémorragies consécutives aux fortes doses d'anticoagulants, à des problèmes postopératoires et à des dysfonctionnements de la prothèse. Aujourd'hui, les chirurgiens cardiaques se sont tournés vers des demi-coeurs artificiels, encore dits assistance ventriculaire gauche, plus simples, suffisants pour certains patients. 1 800 prothèses de ce type ont été posées dans le monde, dont une centaine en France. Elles ont permis, en particulier, à des malades de survivre dans l'attente d'une greffe de coeur. En outre, la voie de la thérapie cellulaire suscite aussi des espoirs. Dernier détail, « le modèle présenté par le Pr Alain Carpentier est intéressant, mais la question de son alimentation n'est pas résolue, souligne Jean Claude Boulmer, président d'une association de malades (FNAMOC). En effet, si le prototype est aujourd'hui équipé de batteries de secours, son mode d'alimentation n'a pas été encore choisi.
Questions à Patrick Coulombier, directeur général adjoint de CARMAT
C'est comme un matériel lancé en orbite
Depuis quand date votre collaboration avec le Pr Carpentier ? Patrick Coulombier. La collaboration avec EADS, à l'époque Matra, date depuis 1993. Le Pr Alain Carpentier avait déjà déposé un premier brevet pour le coeur artificiel. C'est à ce moment qu'il a convaincu Jean-Luc Lagardère de mettre à disposition de ce projet les compétences du groupe Matra. Puis en 2001, le projet a été mis en question, car des problèmes de fiabilisation et de miniaturisation se posaient. Mais les résultats encourageants des expérimentations chez l'animal, le mouton et le veau, nous ont incité à poursuivre. Une vraie équipe d'une douzaine de personnes a été mise en place. Des ingénieurs aéronautiques, des biologistes, des chercheurs dans le domaine des biomatériaux… tous sous la conduite du Pr Alain Carpentier qui veillait à la démarche scientifique. De là est née la société CARMAT.
Quel rapport entre l'aéronautique et un coeur artificiel ? P.C. Les points communs sont assez grands quand on regarde d'un point de vue purement technique. Le c½ur artificiel, c'est comme un matériel embarqué à bord d'un avion ou d'une fusée. Or, cette contrainte est la base commune des métiers d'EADS, que ce soit au niveau des missiles ou des satellites. Leurs ingénieurs conçoivent des équipements avec des problématiques identiques. Ils recherchent le moins de masse possible, le volume le plus restreint, une durée de vie la plus longue possible. Autre point commun, c'est l'impossibilité d'interagir avec le produit une fois qu'il est lancé en orbite. Pareil pour le coeur artificiel une fois qu'il est implanté.
Quel est votre programme pour les prochaines années ? P. C. Nous allons fabriquer le modèle qui fait 900 grammes et 0, 75 litre de volume en plusieurs exemplaires. Puis, nous procédrons à des essais en laboratoire pour vérifier la fiabilité du produit. Nous souhaitons déposer un dossier à l'Afssaps pour faire des essais cliniques chez l'homme d'ici deux à trois ans. Entretien réalisé par MG
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